Taïwan: Histoire du Cinéma

L'occupation japonaise

Durant la première moitié du XXème siècle, aucun cinéma national n’a existé à Taïwan. De 1895 à 1945, Taïwan était en effet une colonie japonaise. Durant cette période, le Japon contrôlait la production culturelle et a empêché un cinéma national de se développer. La plupart des films projetés venaient du Japon, de Chine et des Etats-Unis et les films pouvant inclure une participation des locaux subissaient un contrôle strict de la censure. Durant la période muette se développa sur le modèle japonais la vogue des benshi. Ces derniers étaient des intellectuels : ils parlaient japonais et avaient fait des voyages en Chine ou au Japon. Avec la seconde Guerre sino-japonaise vint la Japonisation forcée de Taïwan. Des noms japonais, une éducation japonaise furent donnés de force aux citoyens. Le port de vêtements japonais fut encouragé et il fut demandé aux Taïwanais de se couper les cheveux. Cette période sera évoquée plus tard par HOU Hsiao-Hsien dans Le Maître de Marionnettes. La production cinématographique est interrompue pendant cette période. Après la défaite du Japon en 1945, Taïwan est sous contrôle de la Chine et du gouvernement nationaliste du Kuomintang de CHANG Kai-shek. Jusqu’en 1949, c’est une simple colonie chinoise et donc un simple débouché de la production cinématographique du colonisateur.

L'émergence d'un cinéma national

A l’arrivée des Communistes au pouvoir en Chine Continentale en 1949, CHANG Kai-shek établit Taïwan comme « la République de Chine ». Le Kuomintang va alors créer un véritable cinéma national avec des visées idéologiques. A cette époque, le parti voyait en effet Taïwan comme la seule « vraie Chine ». Des cinéastes pro-nationalistes s’installent alors sur l’île. Les premiers films produits sous contrôle gouvernemental étaient en mandarin. Dans un souci d’unification de la Nation, le gouvernement avait décrété cette langue langue officielle. L’usage des autres dialectes fut limité et la quantité de films non mandarins (i.e. en langue taïwanaise) déclina. CHANG Kai-shek ne voyait dans le cinéma qu’un divertissement ou un outil propagandiste. Les principaux genres du cinéma taïwanais furent alors le mélodrame, le kung fu, la comédie et le cinéma de propagande. Le monde culturel subit alors une forte censure étatique et le monde politique se révèle hostile à toute innovation esthétique ou traitement de problèmes contemporains. Dans les années 60, l’île se modernise : développement industriel, economique et de l’éducation… Jusqu’en 1980, le Cinéma Taïwanais n’aura pas d’identité spécifique.

Les Débuts du Nouveau Cinéma Taïwanais

En 1975, CHANG Kai-shek meurt. Lui succédant, son fils se révèle plus permissif au niveau culturel. Le succès du cinéma de Hong Kong encourage l’Etat à contruire une industrie cinématographique nationale. Ces deux facteurs permirent l’émergence du « Nouveau Cinéma Taïwanais », les premiers films du mouvement bénéficiant d’aides étatiques. Au début des années 80, les deux figures phare de ce mouvement n’en sont qu’à leurs balbutiements. Né à Shanghaï en 1947, Edward YANG passe sa jeunesse à Taipei. Il y fait des études d’informatique qu’il poursuivra aux Etats-Unis. Il y obtiendra un autre diplôme et y travaillera. De retour à Taïwan en 1981, YANG y écrit des scénarios. A cette époque, HOU Hsiao-Hsien est déjà un cinéaste à succès. Il a réalisé Charmante Demoiselle (1980) et Vent Folâtre (1981), deux comédies dont l’humour gras double n’a rien à envier à certains films hongkongais.

En 1983, L’Herbe verte près de chez nous marquera la transition entre ce cinéma de commande et sa veine plus personnelle. 1983 est d’ailleurs l’année-clé du Nouveau Cinéma. En 1982, dans le cadre d’une politique de découverte de talents, la CMPC (Compagnie cinématographique centrale : compagnie cinématographique dépendant du gouvernement) rassembla des capitaux pour financer un film à sketches de 4 jeunes cinéastes. Ce sera In our time (1983), film à sketches dont Edward YANG sera l’un des réalisateurs et HOU Hsiao-Hsien un « conseiller non officiel » sur le tournage. Acte de naissance du Nouveau Cinéma Taïwanais, le film brise lers vieux carcans du cinéma local (recours à des acteurs non stars, post-synchronisation par les acteurs eux-mêmes…) et -très important- ne sera pas un bide au Box Office. Cette année-là, la Compagnie Wan nian qing obtient un succès surprise avec Growing Up, un film bien plus sophistiqué que le cinéma populaire de l’époque.

Suite au relatif succès de l’expérience In our Time, la CMPC produit un autre film à sketches, l’Homme Sandwich (1983). Cette fois-là, HOU Hsiao-Hsien réalise un des sketches. Toujours en 1983, HOU Hsiao-Hsien signe son premier long totalement personnel, Les Garçons de Fengkuei. Le film ouvre la première veine du cinéaste, veine poursuivie avec Un Eté chez grand-père (1984), Un Temps pour vivre, un Temps pour mourir (1985) et Poussière dans le vent (1986). Très intimiste, cette série de films s’attache aux souvenirs de jeunesse du cinéaste ou de sa scénariste CHU Tien-Wen ainsi qu’à la description du Taïwan rural. En 1983, Edward YANG réalise son premier long, Ce Jour-là sur la plage. HOU sera acteur pour YANG en 1985 dans Taipei Story. En 1986, les deux cinéastes feront partie des signataires du Manifeste du Nouveau Cinéma Taïwanais, manifeste écrit de cette « vague ». La même année, YANG aborde le thriller avec The Terrorizer. A l’opposé de la première veine de HOU, son cinéma s’attache alors au monde urbain, au tertiaire et aux évolutions économiques contemporaines de l’île. En 1987, HOU abordera néanmoins pour la première fois le monde contemporain avec La Fille du Nil.

ASSAYAS: le passeur français

Un cinéaste sera une figure-clé dans la découverte en France du Nouveau Cinéma taïwanais : Olivier ASSAYAS. Critique aux Cahiers du Cinéma, il part à Hong Kong avec Charles TESSON. Ils en ramèneront un numéro de 1984 des Cahiers spécial HK désormais culte. Mais le cinéma local le passionne peu. C’est Christopher DOYLE qui l’aiguillera vers le Nouveau Cinéma de Taïwan. ASSAYAS deviendra alors un des passeurs de ce cinéma en France et progressivement très bon ami de HOU. Il a d'ailleurs réalisé en 1997 un documentaire sur HOU pour la série Cinéma de notre temps.

HOU Hsiao-Hsien et Edward YANG: destins artistiques et festivaliers contrastés

En 1989, HOU prend de gros risques financiers pour réaliser le détonateur de l’explosion mondiale du cinéma local : La Cité des Douleurs. Saga familiale soldant les comptes de la période de l’occupation chinoise, le film décrochera le Lion d’Or à Venise cette année-là. A domicile, il déliera les langues sur cette période historique et sera le dernier succès populaire du Nouveau Cinéma. A partir de là, le cinéaste deviendra un habitué des grands festivals. En 1993, il décrochera le Prix du Jury à Cannes pour Le Maître de Marionnettes, complémentaire du précédent évoquant l’occupation japonaise.

Durant la même période, la destinée festivalière d’Edward YANG sera moins heureuse : varié dans les genres abordés, n’hésitant pas à mélanger les genres, son cinéma correspond moins au « profil » festivalier que celui de HOU ou de TSAI Ming-Liang. Après sa fresque de 4 heures A Brighter Summer Day (1991), il aborde le monde du tertiaire avec la comédie Confusion chez Confucius (1994). Et si Mahjong (1996) est primé à Berlin il ne bénéficiera pas de sortie française malgré la présence au casting de Virginie Ledoyen. Ce n’est qu’en 2000 que YANG aura sa « revanche » avec un Prix de la Mise en Scène à Cannes pour son film choral Yi Yi. Ce sera son testament artistique : YANG décèdera d’un cancer du colon en 2007.

Après 1995, plusieurs veines sont observables dans la filmographie de HOU. Après un Good men, Good women (1995) à cheval entre passé et présent, Goodbye South Goodbye (1996) et Millenium Mambo (2001) sont des œuvres urbaines, contemporaines. Entre ces deux derniers, le huis clos Les Fleurs de Shanghaï (1998) revient sur le passé de l’île. Au début conçu comme un film à sketches sur le modèle de ses débuts (HOU devait n’en réaliser qu’un et confier les deux autres à de jeunes cinéastes), Three Times (2004) s’est transformé en véritable œuvre bilan du cinéma de HOU. Enfin, le cinéaste a posé sa caméra au Japon avec l’hommage à OZU Café Lumière (2003) et en France avec Le Voyage du Ballon Rouge (2007).

Emergence de TSAI Ming-Liang et Ang LEE

Les années 90 ont vu deux autres cinéastes taïwanais se faire un nom hors de leurs frontières : TSAI Ming-Liang et ANG Lee. TSAI sera l’un des cinéastes taïwanais les plus influents et remarqués en festival des années 90. En 1992, les bases de son cinéma sont déjà dans son premier long Les Rebelles du Dieu Néon : son acteur fétiche Lee KANG-Sheng dont il fera son LEAUD/DOISNEL, un regard sur l’incommunicabilité et la solitude urbaine rappelant ANTONIONI, un dispositif fait de plans fixes très longs et de croisements de personnages solitaires qui fera très vite école dans le cinéma d’auteur mondial. TSAI y rajoutera un certain burlesque avec Vive l’Amour ! (1994), Lion d’or vénitien en 1994. En 1997, il décroche l’Ours d’argent à Berlin avec La Rivière (1997). Il a depuis intégré à ses dispositifs des éléments de comédie musicale (The Hole (1998), La Saveur de la Pastèque (2005)), fait jouer Jean-Pierre LEAUD dans Et là-bas quelle heure est-il ? (2001) et rendu hommage à King HU (Au revoir, Dragon Inn (2003)). I don’t want to sleep alone (2006) est son dernier film.

Vie et carrière d’Ang LEE sont marquées par les allers-retours Orient/Occident. Le cinéaste a en effet étudié l’art dramatique aux Etats-Unis avant de réaliser ses premiers longs métrages à Taïwan dans les années 90. En 1992, son premier long Pushing Hands sera présenté dans les sections parallèles à Berlin et primé aux Césars locaux. Un an plus tard, Garçon d’honneur décroche l’Ours d’or à Berlin. En 1994 , la comédie Salé Sucré est présentée à Cannes à la Quinzaine. Ces trois films posent ce qui sera un grand thème du cinéaste : la cellule familiale comme un carcan. Nous n’évoquerons pas ici la suite plus « internationale » de la carrière du cinéaste

Une relève invisible?

Outre les cinéastes mentionnés, YEE Chin-yen et LIN Cheng-sheng ont eu une petite notoriété festivalière. Réalisé par le premier, Blue Gate Crossing (2002) a déroché le Grand Prix de la Panasia de Deauville en 2005. Signé du second, Betlenut Beauty (2001) a lui été récompensé à Berlin. Mais pas de quoi se faire un nom durable sur la planète cinéphile… Entre une industrie cinématographique en difficulté (peu de films produits) face à un cinéma étranger dominant en salles, un cinéma d’auteur vénéré en festival mais financièrement dépendant des capitaux étrangers, le cinéma de Taïwan est confronté à de nombreux défis. Pour les jeunes cinéastes, tenter de s’affranchir d’aînés glorieux aussi vénérés que pillés par le cinéma d’auteur mondial n’est pas le moindre. Les sélectionneurs de grands festivals limitent désormais leurs choix de cinéastes aux « grands noms ». Et le curseur de l’intérêt pour le cinéma asiatique pointe désormais vers la Corée et la Thaïlande. Ce qui pose les questions suivantes : N’y a-t-il plus de cinéma à Taïwan en dehors de quelques grands noms ? La relève a-t-elle autant de mal à émerger qu’à Hong Kong ? On ne peut répondre parce que ce cinéma n’existe finalement à travers les « filtres » festivaliers…

Sources: Ilha formosa, UCLA, en.wikipedia, Festival des 3 continents, Sagittaire Films


PS: On peut tout à fait contester l'expression "chef de file de la Nouvelle Vague Taïwanaise" lue à propos d'HOU Hsiao-Hsien dans bien des articles, livres, biographies... francophones comme anglophones à son sujet. Entre HOU et ce mouvement, il est plus question de coïncidence chronologique que d'une véritable implication active du cinéaste comme élément moteur. La Nouvelle Vague Taïwanaise, c'est d'abord Edward YANG et quelques cinéastes inconnus en Occident. La raison de cette "approximation" tient sans doute à certains réflexes historiens comme cinéphiles: vouloir absolument tout regrouper par "vagues", "scène"...

date
  • mars 2008
crédits
Histoire