Interview Henry Lai

Henry Lai fait partie des compositeurs de qualité à Hong-Kong. Après avoir écrit plusieurs bandes originales pour Daniel Lee, il récidive pour Star Runner et livre une nouvelle composition de qualité et au dessus des standards locaux. Rencontre avec un artiste dont le métier est peu reconnu dans l'ex-colonie britannique.


(l'interview sera complété dans le cadre d'un dossier dans quelques semaines)




François: Comment travaillez vous en général ? Disposez vous d’une première version du film sur laquelle travailler ?

Henry: J’ai déjà travaillé dans les deux situations. En général, le réalisateur m’appelle pendant le montage et dit : « Je suis en train de faire ce film, peux tu me faire de la musique ? ». Ensuite, je lis le script, je regarde des extraits, des ébauches de montage et j’essaie de trouver un thème ou quelque chose.

Mais parfois, comme lorsque je travaille avec Daniel Lee, le réalisateur veut la musique avant de commencer à tourner et monter son film parce qu’il veut un rythme sur lequel se baser. Donc parfois il va définir l’histoire à travers l’idée qu’il a du rythme du montage ; s’il travaille par exemple sur la scène d’ouverture d’un combat, il veut que l’ambiance corresponde à ça ou ça, la scène durera entre trois minutes et trois minutes et demi en tout. Il définit aussi la manière dont l’ambiance doit se construire, et de cette manire je peux écrire quelque chose, et il va monter la scène en conséquence et l'ajouter à la musique. C’est comme ça que ça se passe.

F: Est-ce que vous travaillez parfois avec le monteur du film ?

H: Beaucoup de monteurs travaillent directement avec le réalisateur. Donc en fait, cela revient à travailler avec le réalisateur. Bien sûr, par la suite nous discutons du montage ensemble: si le monteur veut que telle partie dure plus longtemps, s’il veut qu’une autre soit plus « punchy » ou quelque chose comme ça, je n’ai qu’à réarranger la musique selon ses exigences.

F: A propos de Daniel Lee, vous pouvez être considéré comme son compositeur attitré. Comment s'est passé votre collaboration?

H: J’ai commencé à travailler avec Daniel il y a…(il réfléchit) de nombreuses années, sur Wong Fei Hong.

F: La série télévisée "The Eight Assassins".

H: Oui tout à fait.. C’est la première fois que j’ai vraiment fait sa musique. Avant cela, je composais pour ses bandes annonces, du temps il en réalisais. Par exemple, Danny Lee allait sortir un nouveau film, et il avait besoin de quelqu'un pour préparer une nouvelle bande annonce. Alors il appellait Daniel, qui venait ensuite me voir pour composer une musique originale pour la bande annonce. C’est comme ça que nous avons commencé à travailler ensemble. Et ensuite il a réalisé son premier film ... (Henry cherche le titre anglais)

F: What Price Survival…

H: Oui, pour celui-ci, il a employé un compositeur de Taiwan. Et à ce moment là, ce compositeur était à Hong-Kong, et Daniel avait besoin d'un peu plus de musique. Et il cherchait un studio pour ce faire. Il est donc venu chez moi et c’est comme ça que j’ai rencontré son assistant, que nous avons commencé à travailler sur le film de Wong Fei-Hung et ensuite sur Till Death Do Us Part...

F: Daniel est connu comme quelqu'un de très artistique, il est également peintre. Est-il facile de travailler avec lui?

H: C’est vrai que c’est quelqu’un de très exigeant qui sait exactement ce qu’il veut et ce qu’il fait. Il écoute beaucoup de musique et quand il veut que je lui en fasse, il nous est très facile de définir ce qu’il veut d’une manière vraiment détaillée, il me dit par exemple “c’est le genre de musique, le genre d’ambiance que je veux”. En un sens, ça le rend assez facile à contenter, mais d’un autre point de vue, c’est plutôt hardu car il a des exigences assez hautes qu’il faut atteindre et sa connaissance importante de la musique l’amène à en vouloir toujours plus de moi. Donc, il est en fait assez difficile de travailler avec lui..

F: Et stimulant aussi ?

H: Oui, bien sûr, très stimulant.

F: Pour la musique d’opéra qui passe pendant la scène sur le toit dans Till Death Do Us Part, qui en a décidé, Daniel ou vous ?

H: C’est Daniel. La musique de ce passage devait être très forte émotionnellement, parce que l’on en arrive à un climax. C’était la seule façon pour moi d’atteindre cet objectif car à l’époque on ne pouvait pas se permettre d’utiliser un véritable orchestre. Sans compter qu'on ne bénéficiait pas de hautes technologies comme le MIDI et la musique digitale pour créer ce genre de choses... C’est pourquoi Daniel a décidé de mettre de la musique d’opéra à cet endroit là.

F: Ressentez vous une forme de responsabilité compte tenu l’extrême importance de la musique dans ce genre de scène ? Sans votre musique, cette scène serait vraiment différente.

H: Oui bien sûr, la musique est très importante dans ce genre de situations. Elle peut vraiment grandir le film. Bien sûr je sens une responsabilité et le fait d’intégrer ma musique au film constitue la part la plus importante de mon travail.

F: Toujours à propos de cette bande originale, il y a des morceaux assez "pénibles" à l'écoute, car ils accompagnent des scènes douloureuses pour les personnages. Est-ce facile d'écrire ce genre de musique?

H: Non, mais tout doit concourir à la qualité du film. Si cela parait bon pour le film, peu m’importe de comment cela sonne sorti de son contexte, cela doit améliorer le film.

F: Vous écriviez pour un groupe auparavant, donc des chansons plus "agréables". Est-ce que cela a changé votre manière de travailler?

Henry Lai et son studio

H: Pas vraiment. Cela fait partie du processus créatif et ça ne me pose aucun problème. Bricoler des chansons commerciales est une chose. En fait ça n’a jamais vraiment été mon point fort d’écrire des chansons commerciales. Je me sens beaucoup plus à l’aise avec la composition de musique de films. Je me sens beaucoup plus libre. Je n’ai pas à tomber dans le genre de formatage “couplet-refrain-couplet-refrain-solo”, je n’aime pas ce genre de contraintes.

F: Parlons maintenant de Fighter’s Blues. Vous a-t-il été facile de vous adapter pour amener votre musique à sonner Thaï ?

H: Oui, c’est probablement parce que j’ai toujours apprécié la musique ethnique, même avec mon groupe j’ai déjà fait de nombreuses chansons éthniques. J’aime beaucoup travailler avec différentes cultures.

F: J’ai lu que Daniel Lee était fasciné par le son du gong à la fin de chaque round et on retrouve ce son dans la bande originale. Daniel est il venu vous dire “Je veux que ce son marque le ryhtme à ce moment là” ?

H: Non, il ne m’en a jamais parlé, c’est la première fois que j’entends qu’il aimait à ce point ce son. En fait j’ai toujours aimé utiliser des cloches et ce genre d’instruments ethniques. Je trouvais juste que c’était bien, il ne m’en a jamais parlé.

F: Est-ce la même chose pour la scène d'accident dans Moonlight Express? Il n'y a que la musique, aucun effet sonore. Est ce que Daniel est venu vous trouver pour vous dire “La scène va ressembler à ça donc il faut que tu prépares une musique en sachant qu’il n’y aura aucun effet sonore” ?

H: Non, en fait, c’était mon idée d’enlever les effets sonores parce que je pense que si vous voulez surligner l’accident, ce genre de tragédie, la meilleure façon consiste à enlever tout le reste, et c’est comme si vous regardiez du Ciel. Je le sais car j’ai déjà vécu un accident auparavant et je me souviens que je n’entendais rien, c’était le blanc total. C’est donc très réaliste. C’est pourquoi dans ce cas d’accident relativement similaire, nous avons tout retiré et ça m’a paru très réel et effrayant à la fois. D’où ma suggestion à Daniel d’enlever tous les effets sonores.



Ecoutez 13 extraits de la bande originale de
Star Runner!

Star Runner Soundtrack



F: Plus généralement dans vos bandes originales, décidez-vous pour toutes les chansons qui y seront incluses?

H: En fait, je fais des propositions à Daniel et c’est bien sûr lui qui prend la décision. (rires).

F: Et vous arrive-t-il que le studio ou les producteurs vous contacte pour vous dire “ Vous devez absolument intégrer cette chanson à la bande originale parce que nous avons un partenariat avec ce chanteur, parce qu’il travaille pour nous” ?

H: Non, en fait, j’écris la majorité des chansons, les seules chansons qui font exception sont les chansons d’Andy Lau, parce qu’il insiste pour que l’on inclue ses chansons dans la musique du film et comme c’est un investisseur... Mais Daniel et moi nous n'aimons pas vraiment ces chansons en fait, car elles ne corresponde pas à la “culture” du film.

Nous essayons de faire des films qui sortent des sentiers battus, et les chansons d’Andy Lau nous y ramènent directement. C’est pourquoi nous avons essayé de refuser. Mais il y a beaucoup de raisons “politiques” donc les chansons figurent finalement dans la bande originale du film. Mais pour Fighter’s Blues, les chansons Thai étaient en parfaite adéquation avec la culture et l’ambiance du film et c’est pourquoi nous les avons choisies.

 
F: A propos de Star Runner pouvez-vous nous dire à quoi nous devons nous attendre?

H: C’est un film d’action avec une histoire d’amour en filigrane. La chanson principale est dans un style assez mexicain. En fait, c’est parce qu’il y a une scène où l’on voit les deux protagonistes qui tombent amoureux à une fête de mariage, et il y a un orchestre Mexicain en train de jouer cette chanson. Cette chanson a été enregistrée à Mexico par un chanteur Sud-Américain.

Un des personnages importants est interprété par David Chiang. Il joue le grand père du personnage principal, Bond, qu'il a élevé et qui a été soldat en Chine. Ce grand père a été blessé dans une bataille et a été sauvé par une infirmière dont il tombe amoureux, mais qu’il laisse derrière lui car il pense que ces temps de guerre ne se prête pas à une relation amoureuse. Il part donc et ils sont séparés. Mais après la guerre il pense tout le temps à elle, regrette de ne pas l’avoir connue plus et de ne pas lui avoir montré son amour. C’est donc le grand regret de sa vie. Et il raconte donc cette histoire à son petit fils.

Lequel est un étudiant qui fait de la boxe, et qui tombe amoureux de sa professeur de coréen. Il a peur des sentiments qu’il développe pour elle parce que c'est son professeur mais il se souvient de l’histoire de son grand-père. Par conséquent il ne laisse pas tomber et il donne le meilleur de lui même sur le ring également. Donc voilà le scénario en gros. Et comme le grand-père s’est battu contre les Russes, une partie de la musique a des accents assez militaires, et russes aussi. Voilà pour le style global de la bande son.

F: Je ne sais pas si le tournage est terminé, mais travaillez vous avec des images ?

H: En fait, il s’agit du troisième ou quatrième montage, donc c'est presque fini.

Deux des nombreuses
guitares d'Henry

F: Donc cette fois ci vous créez plutôt la musique en fonction des images ?

H: En fonction des images, oui. Mais avant cela, j’ai déjà dû composer de la musique avant que l’on entame le montage. Vous savez, Daniel la voulait avant même de tourner, en particulier la chanson mexicaine et l’ouverture du tournoi. C’est quelque chose d’assez rock, car ça doit plaire au jeune public. Vaness Wu est une idôle pour les ados, donc nous voulions quelque chose de rock, d’énergique pour certains passages.

F: Vous préférez travailler avec les images ?

H: Oui bien sûr, c’est plus intuitif, ça stimule l’inspiration.

F: Merci beaucoup Henry

H: Je vous en prie.

Tous nos remerciements à Henry Lai pour nous avoir reçus à une période aussi chargée.

date
  • octobre 2003
crédits
Interviews