L'Effrayant Docteur Hijikata

Francis Moury

Kyofu kikei ningen [L'effrayant Docteur H. : mémoires d'un homme déformé] (Jap. 1969) de Teruo ISHII

Résumé du scénario

Un jeune homme s'évade d'un asile d'aliénés et met à jour les agissements criminels, par révélations successives, d'un médecin dément et monstrueux vivant sur une île rocheuse qui, effrayé et aigri par sa propre difformité, décide de transformer ses indigènes en monstres encore plus hideux que lui. Le jeune homme découvre en même temps l'histoire de sa naissance et réalise qu'il appartient à cette famille criminelle. Il se découvre, s'oppose ouvertement à son père mais réalise que celle qu'il aimait n'est autre que sa sœur. Une explosion apocalyptique détruit l'île et disperse dans l'espace ses monstrueux habitants.

Critique

Kyofu kikei ningen fut un film longtemps invisible en France (jusqu'à sa révélation par L'Étrange Festival 2004 à Paris) et le film maudit le plus célèbre du réalisateur Teruo ISHII auprès des connaisseurs du cinéma fantastique japonais moderne. L'acteur Tatsumi HIJIKATA qui joue d'une manière si impressionnante le médecin dément était le père fondateur d'une école de danse Butoh. ISHII réutilisera un danseur Butoh dans Nejishiki (1998). Adapté pour la Toei (qui renia le film en raison de son utilisation excessive du thème du handicap, tabou au Japon) par ISHII de plusieurs nouvelles d'Edogawa RAMPO (dont, outre la nouvelle homonyme au titre japonais, celle intitulée " Panoramajima Kidan ") le film n'est projeté au Japon que très rarement. Sa carrière en vidéo là-bas fut quasi-underground et le film était surtout visible à l'Ouest au moyen de copies VHS américaine NTSC recadrées soit en en VHS japonaises " ToeiScope " respecté mais en v.o. sans aucun sous-titre et d'une durée souvent rognée à 70'. Il ne faut pas conclure trop vite, après lecture du résumé, à l'idée qu'il s'agit d'une variation inavouée du célèbre Island of the Lost Souls [L'île du Dr. Moreau] de l'écrivain H.G. WELLS qui inspira trois versions cinématographiques aux USA : la géniale de Erle C. KENTON (1932), la médiocre de Don TAYLOR (1976) et l'assez bonne de John FRANKENHEIMER (1996). Leur thématique est jusqu'à un certain point similaire. Jusqu'à un certain point au-delà duquel, précisément, Teruo ISHII révèle son originalité et sa maîtrise dans le pur film d'horreur et d'épouvante qu'il ne traita qu'assez peu au cours de sa carrière.

Ici comme dans les histoires fantastiques (*) du détective Harry Dickson, le " Sherlock Holmes américain " imaginé par le génial écrivain belge Jean RAY (1887-1964), l'explication des faits est encore plus aberrante que les faits déjà aberrants qu'elle est censée expliquer. Et par-dessus ce scénario démentiel où sont convoqués en vrac l'inceste, les rêveries psychédéliques, le sado-masochisme, les rebondissements du sérial, l'érotisme et l'épouvante, s'ajoute une mise en scène d'une fluidité démentielle composant un entrelacement étonnant. Au point que ce surdécoupage, tant son montage est nerveux et vif, semble un long plan séquence à certains moment, parfois interrompu mais jamais assez longtemps pour qu'on puisse réellement reprendre son souffle. La scène finale est frappée au coin du surréalisme le plus pur et le plus fou : c'est une des plus belles séquences jamais vues sur un écran, l'une des plus originales aussi. Comme si tous les signes, un instant unifiés par le sens du récit, se fragmentaient à nouveau, contraints d'exploser et de se disperser par leur impossible mais rêvée unité. Comme si les membres de cette famille ne formaient plus que les lumineuses facettes d'un fantasme total voué à la destruction après avoir constitué un moment un improbable tout. Chef-d'œuvre du cinéma fantastique mais par conséquent aussi chef-d'œuvre authentique du cinéma surréaliste le plus absolu : Ado KYROU comme Jean-Marie SABATIER auraient évidemment adoré Horror of A Malformed Man ! Sa découverte aujourd'hui en France avec près de 35 ans de retard est à marquer d'une pierre blanche : on a découvert une œuvre majeure du cinéma fantastique japonais dont l'originalité est à nulle autre pareille.

(*) parues initialement dans les années 1930 et rééditées en 16 volumes aux éd. Marabout & Cie, Verviers, Belgique, de 1966 à 1974

Fiche technique succincte


Kyofu kikei ningen
Horror of a Deformed Man
Horror of a Malformed Man

Mise en scène : Teruo ISHII.
Avec : Teruo YOSHIDA, Minoru OKI, Asao KOIKE, Yuki KAGAWA, Mitsuko AOI, Teruko YUMI, Michiko OBATA, Tatsumi HIJIKATA, etc.
Production  : Hiroshi OKAWA (Toei).
Scénario : Teruo ISHII & Masahiro KAKEFUDA d'après la nouvelle " Kyofo nikei ningen " d'Edogawa RAMPO.
Dir. Photo : Shigeru AKATSUKA.
Mont. : Teruo ISHII.
Mus. : Masao YAGI.
Dir. Artistique : Akira YOSHIMURA.
Durée : 99 minutes, ToeiScope-Eastmancolor.

PS Cinemasie: Conformément aux souhaits de l'auteur du texte, l'ordre français Prénom/Nom a été choisi ici plutôt que la convention cinémasie (ordre japonais Nom/Prénom).

date
  • septembre 2007
crédits
  • auteur
  • Francis Moury
Films