Festival des 3 continents 2005

Cela fait désormais vingt-sept ans que la ville de Nantes organise le festival des 3 Continents. Cette manifestation a pour objectif de faire découvrir les productions cinématographiques d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Asie. Comme chaque année le continent asiatique occupait une place très importante dans la programmation du festival.

Nous avons eu l'occasion de revoir le très violent "Ichi the Killer" dans une salle comble, au milieux d'un public de fan aquis d'avance.

Parmi les raretés inédites, il y avait, entre autre, un thrillers thaïlandais. Pas vraiment un bon film, mais au moins un "document" intéressant sur la dirrection que prend le cinéma populaire pour ados dans ce pays.

Enfin, le "retour aux origines" grace à la retrospective Cathay, qui pour beaucoup fut l'occasion de découvrir les films qui ont bercé l'enfance de réalisateurs comme Wong Kar-Wai ou Tsai Ming-Liang.

ICHI the killer

Inutile de gloser des heures sur "ICHI the killer" (T.MIKE 2001) tant sont nombreux, sur Cinémasie, les articles et les courriers de lecteurs traitant de ce film explosif, pas le plus trash de Mike, mais l'un des plus énigmatique et peut-être même selon moi (je ne les ai pas tous vus) l'un des plus ambitieux. En plus de la valeur de mythe, qui estampille la plupart des titres du réalisateur japonais, il est quand même intéressant d'évoquer le personnage de gosse battu au visage poupon de ce "justicier"traumatisé par son enfance: ICHI.

C'est dans une tenue à la "Astro le petit robot" que notre super héros passe à l'action pour extirper vésicules, intestins, cervelles et repas de midi à ses victimes. On sait de quoi T.Mike est capable en matière d'exposition organique… Ce qui est surprenant chez ce personnage hyper violent et profondément débile c'est l'hésitation qui précède chacune de ses manifestations de violence.

Il est très rare de voire au cinéma un personnage qui porte à la fois l'habit du justicier invincible et celui du psychopathe grave. On imagine mal Batman, sujet à l'éjaculation spontanée au moment où il s'apprête à venir en aide à une jeune femme opprimée…

Autre curiosité qui donne à "Ichi the Killer" un intérêt cinématographique, en dehors du simple balai sanguinolent, c'est le rapport qu'entretiennent les personnages principaux avec la souffrance. La douleur faite à l'autre n'est pas ici uniquement gratuite. Elle se transforme peu à peu en une sorte d'échange typiquement humain voire de témoignage amoureux dans lequel la mort est l'aboutissement le plus sincère. Comme si l'ambiance de compétition extrême qui règne dans l'archipel, celle qui amène les mômes à se faire "ijimé" (phénomène de groupe qui consiste dans les collèges à exclure un étudiant pour le persécuter) ne permettait plus d'autres moyens de communication.

On peut donc voire dans "Ici the Killer", une critique de la société Japonaise. En tout cas, c'est ce que se dira le spectateur qui, après avoir vu et apprécié le film au-delà de son côté spectaculaire, tentera de se rassurer. Pour les autres, ceux qui, dans la salle, hurlent (comme ce fut le cas à Nantes) de satisfaction à chaque téton découpé au cutter, ou à chaque viol de lycéenne, je me dis que nous n'avons pas vu le même film ou que nous n'attendons pas la même chose du cinéma.

L'art du diable

C'est l'une des particularités des Trois Continents : offrir la possibilité de voire des œuvres du monde choisi parmi les plus représentatives de la production cinématographique de leur pays d'origine. Ce qui forcément nous amène parfois à nous confronté à des langages qui nous sont encore inconnus. À l'heure ou les salles consacrent une partie de leur programmation aux "films étranger" (ce qui le plus souvent veut dire: dire ni Français ni Américain), qui répond de plus en plus à une attente du public Français, il faut s'attendre à un phénomène inévitable de formatage. Il est donc important parfois de rappeler que Jia Zhang-ke, Li Yang ou Chen Kaige ne sont pas LE cinéma Chinois. En tout cas leurs films ne sont en rien représentatif de la demande du public en Chine.
De la même manière, le cinéma Thailandais ne s'illustre pas uniquement au travers de deux réalisateurs opposés (les frères Pang et A.Weerasethakul).

C'est donc en partageant cette ambition (celle de l'immersion non formatée) et avec la ferme intention de voir un film qui, contrairement à celui dont je viens de parler (Ichi the Killer), n'entrera jamais, sauf évolution spectaculaire du public, dans la légende, que nous sommes allés voir "L'art du diable" de Thanit Jitnukul.

Très populaire dans son pays, mais inconnu en France, Thanit Jitnukul, est un cinéaste "touche à tout" qui s'est essayé à plusieurs styles (comédie, drame, mélo, polar) avant de tourner ce thriller fantastique dans lequel tout sent la précipitation.

Une caméra épaule, suit une jeune fille en larmes titubant au milieu des longs couloirs d'une grande maison moderne. Elle découvre dans l'une des chambres le cadavre de sa mère puis son jeune frère, agonisant, le visage maculé de sang. On s'attend alors au traditionnel "coupez, on la garde" pour interrompre la scène ; astuce un peu faiblarde, pour nous engager sur une nouvelle histoire qui commencerait alors sur un tournage de mauvais film d'horreur. Ce n'est pas très original, mais bon… Park Chan Hook, Brian de Palma, l'ont fait eux aussi et ils ont eu largement de quoi se faire pardonner entre temps. Mais là, rien! même pas cet artifice hyper convenu. L'histoire délirante qui va suivre à déjà commencée.

On échappera alors à un nombre très réduit de cliché. Flash-back pour expliquer le "Pourquoi j'ai tué tous les membres de ta famille", justification (douteuse) d'ordre social du méchant (qui d'ailleurs est une jeune femme), fantôme féminin (avec des cheveux qui font peur), hôpital désert au moment où des aspics investissent par milliers le corps d'un malade, et bien sûr l'incompréhension des autorités qui ne voit rien de paranormal puisque cette force maléfique n'est visible qu'aux yeux de ses victimes…

Dans la salle, malgré l'ambiance festive de spectateurs résolus à ne pas prendre ce qu'il voyait au sérieux, on pouvait reconnaître la qualité visuelle de certaine scènes. On pouvait céder au frisson à condition d'apprécier les bonnes séquences de manière individuelle, de ne pas trop penser à l'ensemble, et de mettre de côté les enjeux dramatiques sensés nourrir cette histoire écrite probablement trop vite.

"L'art du diable" à également, pour le public occidental, l'intérêt de montrer un visage peu courant de la Thaïlande. Une ambiance bourgeoise, moderne et High-Tech, constitue l'environnement des personnages. Non pas que nous ignorions l'existence de cette classe sociale en Thaïlande, mais l'habitude de voir des images qui se veulent authentiques, représentant le pire comme le meilleur, ont forcé notre imaginaire à nous représenter ce pays comme une surface de terre occuper exclusivement par la jungle, la drogue, la prostitution et les bidonvilles.

Louons alors ce choix dans la programmation qui nous a permis de voir un film Thaïlandais, sans exotisme, fait pour les Thaïlandais et non un "format" de film qui répond à une attente du public occidental. Être pris par surprise, voilà ce que l'on attend du cinéma, surtout lors d'un festival comme les Trois Continents.

Cathay

Les fans de cinéma HK, qui se sont rendu à Nantes (ou qui s'y trouvaient déjà car ils sont nombreux dans cette ville), ont eu l'occasion de découvrir ou de redécouvrir les films des studios Cathay. Il est utile de rappeler que dans les années cinquante et soixante, il n'y avait pas sur le petit territoire, uniquement les studios de la Shaw-Brothers qui produisaient des films.

L'histoire de ces deux compagnie est intimement liée : toutes deux ont commencé leurs activités en Malaisie au début des années cinquante. Dans la plupart des grande villes du sud-est asiatique, lorsqu'un cinéma projetait un film de la Shaw-Brothers, il y en avait un autre en face qui montrait à ces spectateurs une production de la Cathay. Toute deux ont réalisé plus de cent cinquante films en moins de vingt ans, parmi lesquels on compte d'énorme succès.

À l'époque HongKong est, pour des raisons politique et économique, certainement la région d'Asie la plus confortable pour réaliser et produire des films. C'est là que Loke Wan Tho (le fondateur des studios Cathay) concentre la majorité de son activité. C'est à ce moment, au début des années cinquante, que s'engagera un climat de compétition stimulant, propice à l'extraordinaire foisonnement qui caractérise le cinéma hongkongais.

C'est dans la diversité des genres que la Cathay se démarque de la Shaw-Brothers plus spécialisée dans le cinéma de genre. La compagnie de Loke Wan Tho, produit des films de sabre, de kung-fu, et des épopées historiques comme son rival, mais se risque également à proposer au public des œuvres dont le ton et l'ambiance empruntent (parfois un peu maladroitement) au style occidental. Ainsi, certaines comédies font davantage penser, tantôt au comédie américaine ou italienne, tantôt au cinéma du "New Deal".

Nous avons pu voir à Nantes, quatre longs-métrages de Wang Tianlin, l'un des réalisateurs les plus populaires de l'époque. Autant le dire tout de suite: si l'on peut reconnaître dans certains de ces films ("Sauvage, sauvage est la rose", "Une fiancée pour Papa"…), parfois l'influence de Franz Capra, une frivolité généreuse à la Lubitsch, ou quelques beaux instants de comédie musicale, on a souvent du mal à sortir de la "bien-pensance", du mélo paternaliste.

"La plus grande guerre civile du monde" (1961) est un concentré assez significatif de tout ce Wang Tianlin pouvait produire comme munificence sirupeuse, comme situations improbable qui n'ont d'autres mouvement que celui qui attire inexorablement vers le happy end radical et sans compromis.

Deux tailleurs, l'un du sud, l'autre du nord, se mènent, l'un contre l'autre, une guerre (d'où le titre) de voisinage qui finira par avoir des conséquences désastreuses pour ce qu'ils ont de plus cher: leur commerce. Dès leur première rencontre, ils se manifestent une animosité féroce qui gagne en intensité lorsque le hasard les amènent à vivre tous les deux, avec leurs familles, dans le même appartement. Leur relation finie par ressembler à celle d'un vieux couple qui s'engueule continuellement. Chaque déconvenue de l'un, fait la joie de l'autre, et inversement. On observe alors une symétrie parfaite entre ces deux personnage qui, malgré leur inimitié, se ressemblent en tout point. Ils sont tous les deux gros, pratiquent la même activité professionnelle, ont (si mes souvenirs sont bons) le même nombre de filles et de garçons. Seulement voilà, l'un est du nord et l'autre est du Sud.

Mambo Girl Heureusement, leur entourage finira par avoir raison de cette querelle en les ramenant à la raison. La fille et le fils de l'un, projetant d'épouser le fils et la fille de l'autre, le processus de réconciliation s'enclenche, et s'engagent alors une suite de scénettes absurdes mais néanmoins très drôles. C'est là que réside le charme naïf des films de Wang Tianlin. Des sourires, des grimaces des guéguerres qui n'iront pas bien loin et finalement des réconciliations.

Dans le même style "Mambo girl" de,Yi Men fut un immense succès lors de sa sortie en 1957. Là encore on retrouve les caractéristiques d'une narration enfantine pleine de bon sentiments. Des histoires d'amours émaillées d'inopportuns quiproquos souvent laborieux. Ce n'est pas le scénario qui nous touche mais cet esprit de liberté gratuit et improbable.

Chang Grace (la star qui joue le rôle de Mambo Girl) danse bruyamment avec ses amis malgré sa voisine qui menace d'appeler la police. La vie semble faite d'anniversaire à fêter, de jeune filles à séduire et parfois de problèmes familiaux à résoudre.

On sait pourtant que tout finira par s'arranger ; que tout le monde (même la voisine) finira par rejoindre la joyeuse troupe d'étudiant pour danser le Mambo triomphant.

On remarque alors, en tant que spectateur de 2005, l'absence d'évocation politique, ce qui peut quand même semblé étrange dans une région du monde comme HongKong, exposée à la proximité de conflits explosifs. Mais cette absence (qui s'additionne à celle des bisous sur la bouche) ne gène que le spectateur de 2005, que l'on doit quitter pour céder à la magie.

date
  • janvier 2006
crédits
  • auteur
  • Jean-Baptiste Bolitt
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