Interview Chin Ka-Lok

Pourriez vous vous présenter?

Je m'appelle Chin Kar-Lok, mon âge est secret (rires). Je travaille dans l'industrie de cinéma depuis 24 ans. En débutant à 14 ans, j'ai commencé par l'entraînement au kung fu, à cause du succès de Bruce Lee, puis Jacky Chan et Samo Hung Kam Po. J'ai toujours voulu être un héros de kung fu. Donc à 14 ans, je suis rentré dans le système, et 3 ans plus tard, j'ai officiellement rejoint l'équipe de Samo Hung Kam Po. J'y ai beaucoup appris sur les films de Kung Fu. Mais je pense que c'est différent du kung fu qu'on pratique tous les jours, il faut une cohérence cinématographique. Pendant ces 8 ans d'entraînement, j'ai beaucoup appris, et comme la compétition est rude, je me suis beaucoup amélioré.

A Hong Kong, c'est très différent de l'entraînement en Occident, par exemple, un cascadeur Hong Kongais doit savoir tout faire, il n'y a pas de "spécialiste". En Occident, un cascadeur responsable de plongeons fera toujours des plongeons, alors qu'à Hong Kong le cascadeur doit être capable de tout faire. Nous n'avions pas d'école pour apprendre et nous avons tous évolué sur le terrain. Hung Kam Po est mon sifu (maître) et il m'a beaucoup appris sur le kung fu et le cinéma, ce qu'il faut pour devenir une vraie star, et il m'a montré le style que le kung fu doit avoir. Après, j'ai travaillé 10 ans comme acteur. Et maintenant, dans "Younger Ah Fu" (Star runner) j'ai appliqué tout ça. Je suis vraiment heureux de voir un film de Hong Kong avec du bon vrai kung fu.

J'ai lu que vous aviez des regrets d'avoir abandonné l'école si tôt, mais depuis vous avez fait du bon travail dans le cinéma. Pourquoi avez vous regretté d'avoir quitté l'école si tôt?
C'est de l'avidité.... parce que j'ai commencé dans l'industrie très tôt et voilà le bénéfice: j'ai eu beaucoup plus d'expérience, et je suis relativement jeune comparé aux autres ainés. Pourquoi ai-je dit que j'avais des regrets? Parce que je réalise qu'il me faut plus de temps pour apprendre des choses que les autres qui ont étudié plus longtemps et ont leurs propres méthodes d'apprentissage. Et les gens comme moi doivent apprendre en pratiquant. ça a ses bons et ses mauvais côtés. Pour être honnête, ce ne sont pas de gros regrets. C'est plus contradictoire... J'aurais aimé être entre les deux. Un peu comme Jacky Chan et Hung Kam Po par exemple, qui ont un vécu similaire, sans être allé beaucoup à l'école. Comme ils ont commencé tôt, ils ont eu plus de chances pour pratiquer, mais maintenant, quant ils veulent en faire davantage, ils ne peuvent pas pratiquer directement, il faut apprendre par d'autres moyens, dans les livres ou en étudiant. De nos jours, les jeunes réalisateurs peuvent apprendre comment faire un film, les livres leur montrent si ce qu'ils font est la meilleure chose à faire ou non. Mais pour nous, au travers de beaucoup de pratique, nous prenions de l'expérience, et en faisant des erreurs, nous obtenions finalement un bon résultat. J'essaie de trouver un juste milieu. Comme Jacky chan maintenant, qui apprend dans les livres. A Hollywood, il est capable de parler anglais, même à la TV. Ce que je veux maintenant, c'est apprendre par les livres pour mettre en place les bases qui me manquent.
Comme vous travaillez toujours comme cascadeur, n'est-ce pas frustrant de voir votre travail attribué à quelqu'un d'autre?
Pas du tout, je suis très heureux. J'ai doublé beaucoup d'acteurs célèbres dans les années 80, quand les films étaient remplis de scènes dangereuses. A cette époque les Hong Kongais aimaient beaucoup regarder des films, en particulier dans le show de minuit. J'étais encouragé par les gens qui venaient voir ce que je faisais et applaudissaient. Je suis heureux, et ce que j'ai fait a contribué à l'industrie du cinéma. Même les occidentaux sont euphoriques quand ils voient mon travail. Peu importe que les gens sachent que c'est moi ou non.
Certains sites internet analysent les combats, les gens les regardent encore et encore pour essayer de reconnaître qui a fait la cascade. Ils veulent qu'on reconnaisse le travail du cascadeur. En êtes vous heureux?
Oui, ça me réjouit. Vous me demandiez si je m'en préoccupais ou non. J'ai dit non car nous n'étions pas égocentriques du tout. On fait tout pour le film, pas pour soi même. On travaille comme une famille et on compte les uns sur les autres. Yuen Biao par exemple ne se mettra jamais trop en avant. Il est déjà très célèbre au Japon, mais il n'en fait pas trop sur certains combats. J'ai appris que nous avions tous le même but. Comme Bruce Lee, qui avait besoin d'un adversaire qualifié pour que ses films soient des succès, c'est la même chose pour Jacky Chan, Hung Kam Po et Yuen Biao. Tout le monde doit coopérer. Je pense que c'est pour cette raison que les films d'action de Hong Kong pouvaient atteindre un tel niveau. Le format de travail, le système OT est différent. Dans ce cas, nous obtenons un bon film d'action.
Il y avait une compétition féroce entre l'équipe de Hung KA Po et celle de Jacky Chan. A propos des conditions de sécurité, était-ce un peu dangereux? Referiez-vous ces cascades difficiles aujourd'hui?

Ces dernières années, je n'ai plus vu le même genre de films d'action. Toutes les familles du "kung fu" étaient en compétition, mais ça s'est calmé maintenant. Seul Jacky Chan peut investir tant d'argent dans un film d'action. C'est très dur de s'occuper d'un groupe important de personnes. Est-ce que je ne me sentais pas en sécurité? Par chance, j'étais jeune et je me suis adapté très vite à tout ça, et j'avais le courage d'effectuer toutes les scènes dangereuses. A cette époque on utilisait pas les ordinateurs. C'était plus original, plus vivant. C'était effrayant parfois! L'important c'est de quelle manière je combattais mes peurs. Je n'avais pas de charge familliale avant, et j'étais naïf. Je voulais juste atteindre le but que je m'étais fixé. C'était facile de passer outre ses peurs. En plus d'être rigoureux, il faut aussi être chanceux. J'ai suivi Hung Kam-Po pendant huit ans, et certains personnes ont été paralysées ou sont décédées. Je pense que dans la vie, je suis tenace. Pour le moment, je peux toujours me tenir droit. Je suis chanceux. A cette époque, c'était la grande compétition, certains personnes mouraient ou étaient paralysées...

Mais je n'ai pas de regret d'avoir fait tout ça. On dit que si un cascadeur ne se blesse pas, c'est qu'il n'a pas travaillé assez dur. Je pense que je suis très chanceux à ce niveau.

Que pensez vous des films d'action de nos jours, avec les effets spéciaux numériques. On dépense l'argent dans les ordinateurs. Aimez-vous ça? Comme Matrix?

La technologie est bénéfique, et peut aider à réduire le nombre de décès ou de blessures, ou même les choses simples que nous devions faire nous même. Mais c'est moins vivant. Si on doit sauter de haut, on utilise les effets numériques. Mais c'est comme la musique, ça doit être fait par les gens, comme le Rock and Roll. Par exemple, vous avez le CD de Robbie Williams. Alors pourquoi aller au concert? Parce qu'on veut voir l'action se dérouler vraiment.

Pour les films d'action en numérique, c'est juste comme un dessin animé. J'ai toujours apprécié le travail de "Matrix". Mais on ne devrait pas concentrer les efforts sur un seul point (les cascades). S'il n'y a pas d'humains impliqués, c'est différent. Dans "Matrix", on peut dire que l'action est comme dans les comics ou les dessins animés d'action. Ce n'est pas une vraie personne. La véritable action n'est pas là, et c'est différent. Par exemple, si je tombe par terre, vous serez compatissant pour ma douleur. L'animation numérique ne peut pas retranscrire l'âme de la chute, même si visuellement elle reste belle. Il n'y a plus d'action du type de celle qu'on voyait dans les années 80. Pourtant, un bon marché devrait comprendre les deux types de films d'action.

Vous étiez proche de Lam Ching Ying, pourriez-vous nous parler un peu de lui en tant que collègue et ami?

C'était un très bon ainé et un membre de la famille Hung. Ce n'était pas seulement un frère pour moi, je le considérais un enseignant et un ami. Il s'occupait bien de moi et m'apprenait beaucoup. Par exemple quand nous étions au Canada pour tourner un film, il n'y avait que 3 responsables d'action dans l'équipe. Il était l'instructeur, il y avait beaucoup d'action et on devait toujours doubler nombre de prises, chaque jour. Un jour, je devais traverser une vitre d'une hauteur de 10 pieds, et avant ça, je devais travailler sur un bateau, sauter du 2ème étage au premier. Tout le monde savait que c'était une prise douloureuse. Hung Kam Po voulait que je la fasse. Mais Lam a refusé de me laisser faire et c'est lui qui a sauté... c'était vraiment une prise très douloureuse. Il s'est vraiment fait mal en la faisant. Comme je l'ai dit, travailler comme cascadeur dans les années 80, c'était comme faire partie d'une famille, et il n'y avait pas d'égoïsme.

Il était vraiment gentil avec moi, et même plus tard, il m'a donné le rôle principal d'un de ses films. Il prenait vraiment soin, c'était sa mentalité. Ce n'était pas un flatteur. Mais il se servait beaucoup de sa tête. Il nous apprenait à ne pas être paresseux, à toujours donner 100%, sans tricher. C'était un très bon exemple pour nous. Il mettait beaucoup de coeur dans ses films, même à la fin de sa vie, quand il était malade. Il ne nous montrait pas qu'il était malade. Il tournait même un film avec nous. Je pense qu'il était un vrai héros. Il me manque beaucoup.

Pour le film "Star Runner", comment avez vous été impliqué?
J'aime beaucoup ce film, et nous avons commencé à parler de l'histoire il y a un an. On ne savait pas quoi faire au début. On voulait juste de la boxe "thaï" et de la romance. J'étais juste le chorégraphe au début, puis j'ai été impliqué davantage dans l'élaboration du scénario. J'ai suggérer de rajouter quelques éléments de Kung Fu. On avait peur que le public trouve que le style datait. Mais le réalisateur Daniel Lee a conservé un grand nombre de nos idées. On y a vraiment mis notre coeur et on a beaucoup travaillé. Le tournage s'est vraiment bien passé. C'est un film pour lequel on a eu beaucoup de chance. Par exemple, Philip (NDLR: qui faisait office de traducteur pour l'interview) connait le kung fu, et je peux l'utiliser pour les scènes d'action. Les acteurs du films avaient peu d'expérience en kung fu. Par chance, tout se passait bien, et ils voulaient vraiment s'entraîner. Ainsi, Vaness Wu a passé beaucoup de temps à s'entraîner pendant deux mois entiers. Il s'est consacré entièrement au film. C'est agréablement surprenant pour une "idol" de nos jours. On a essayé de tourner le film comme un film Hollywoodien. Cette fois, nous avons eu la chance de pouvoir répéter et d'accorder beaucoup de temps aux préparatifs. Après ce film, je pense que nous tenons là les meilleurs débutants en kung fu, chose qui manque maintenant à Hong Kong, dans l'industrie du cinéma. Comme Keanu Reeves, qui se débrouille bien dans "Matrix", il peut vraiment faire de bons plans. Je pense qu'Hong Kong a vraiment besoin de nouvelles générations après les Jacky Chan, comme Donnie Yen. Dans ce film, je me suis plus concentré sur l'action. Ces jeunes, par chance, vont devenir les nouvelles stars du cinéma d'action à Hong Kong, et du monde. J'espère qu'ils pourront continuer pour nous et j'aimerais être un de ceux dont les efforts y ont contribué.
Gordon Liu vient dire bonjour à la fin l'interview
Dans Star Runner, il y a des acteurs de l'ancienne génération comme Gordon Liu, de la seconde génération comme vous, et de jeunes acteurs, comme Andy On et Vaness Wu. Que pensez vous de ces trois générations?

C'est juste comme un changement de culture. Comme l'action de "Ka fai". On a besoin des bases pour changer le kung fu qui a cours jusqu'alors. Avant, nous devions apprendre "Chai ma" pendant 3 mois. Maintenant, "Chai ma" n'est plus aussi important, mais c'est toujours utile pour la taille et la posture. Mais maintenant, on peut se servir d'autres techniques pour compléter ça. Le kung fu ka fai est plus basé sur la pratique, comme le kung fu du sud. Pour ma génération, on a ajouté d'autres éléments, comme "thaï kung fu"...etc. Maintenant, les jeunes n'apprennent pas vraiment le kung fu. On leur apprend les corrections qu'on a apprises du ka fai, et nos propres ajouts. Après avoir mélé ces élements, on obtient pas une combinaison spécifique de kung fu. Je pense que la direction que prend l'action change et évolue constamment. Dans les films de Bruce Lee, le changement avait déjà commencé. Quant il est allé en Thaïlande, il a intégrer la boxe Thaï. ça a changé depuis l'époque "Kwai tai heng". Maintenant, le kung fu est mélé à beaucoup d'éléments variés. Le plus important c'est de donner de l'émotion au film. Ce n'est pas de la danse. C'est du vrai combat, pas du combat disco. Beaucoup de pays possèdent un bon kung fu et de l'action. On doit combiner tout ça pour développer un style encore meilleur. Apprendre différents syles est très important. A mon avis, le style du sud chinos combine le meilleur tempo et le meilleur rythme. Moi même, je pratique le style du sud. Il contient toutes les bases. Jacky Chan, Lam Ching Ying, Yuen Biao... ils ont touts commencé par là. Bruce Lee affrontait Hung Kam Po dans un film des années 70. A la fin, Bruce écrase Samo à terre. Je n'aimais pas ça à l'époque, mais maintenant je vois qu'Hollywood utilise ce genre d'action. J'espère que des années plus tard les gens ne penseront pas qu'il s'agit d'une scène comique et garderont tout ça à l'esprit.

Pourquoi Bruce Lee était il tellement en avance dans son approche de l'action?
Je pense que la raison pour laquelle Hong Kong a pu créer tant de stars de films d'action est que nous avons toujours eu des liens forts avec la Chine, avec sa culture. C'était très courant d'apprendre le kung fu à l'époque et avec les colonnies britanniques, c'était facile d'intégrer d'autres cultures, on était plus ouverts à la nouveauté. On commençait tôt et ça pouvait aussi rapporter de l'argent. C'était très compétitif, et les gens s'améliorent dans la compétition. Avant, les gens faisaient de la musique traditionnelle, maintenant ils s'ouvrent plus et créent une culture plus métissée. C'est comme une évolution. Il y a eu beaucoup de changements dans la pratiquen avec des groupes de personnes travaillant dur, qui ont toutes grandi dans le système. Jacky Chan a commencé tôt. Hong Kong a un groupe spécial de personnes, qui n'étudient pas beaucoup en général. Ils ont rapidement l'habileté nécessaire pour jouer. Bruce aimait se battre, il a quitté le continent et a été éduqué physiquement. Dans ses films, l'adversaire ne le montre jamais sur son visage, mais le public sent la douleur. Il était très doué pour se battre, il connaissait le marché, et il savait comment toucher le coeur du public.
Beaucoup de gens ont joué Wong Fei Hung et vous avez eu la chance de l'interpréter dans un film. Ressentiez vous une pression à ce moment?
9a n'était pas vraiment une pression. Je n'allais pas jouer Wong comme d'autres l'avaient déjà joué, par exemple Jet Li, Kwan Tak Hing. Mon Wong Fei Hung est plus à mon goût, indiscipliné.
chaque directeur d'action a son propre style pour choisir son équipe, faire une scène...etc. En quoi pensez vous procéder différement des autres?
Je n'utilise pas beaucoup d'angles de caméra différents, je suis plutôt proche du style Samo. Je choisis de ne pas tourner d'ancien types de films, qui nécessitent beaucoup d'angles (trucages). J'aime toujours le vrai contact, le combat pur. Je veux que les acteurs soient capables de combattre plus et plus longtemps, sans couper, pour allonger le plan principal. J'essaie ne pas insérer trop d'images d'artifices. Dans les films anciens, certains combats ne finissent jamais. La raison pour laquelle ils ont besoin de cette durée est que le public a besoin de rentrer dans le combat. Ce n'est pas réaliste de frapper 4 minutes sans jamais s'arrêter. Je veux que mon style soit du "combat humainement réel".
Comment voyez vous le futur pour le cinéma d'action à Hong Kong et votre propre futur?

La grande époque du cinéma d'action à Hong Kong n'est plus. LEs gens devenus célèbres sont partis à Hollywood. Certaines personnes moins reconnues sont restées à Hong Kong. Mais il n'y a pas eu de films d'action depuis un certain temps, et j'ai commencé à travailler sur un show comique de la TVB. Les jeunes ne savent pas vraiment ce qu'est un film d'action. On ne leur a pas montré. Je pense qu'on manque aussi de sang neuf. J'ai fait un film Japonais pour lequel on m'a autorisé à employer une équipe HOng Kongaise. Bien que nous n'ayons pas eu Jacky Chan, etc, j'ai pu montrer aux jeunes ce qu'est l'action, et j'en suis content. J'ai aussi appris en faisant de gros films. Les jeunes ne savent pas comment faire un film comme avant, car ils n'y connaissent pas grand chose. Jacky Chan revient pour tourner un nouveau Police Story. Les jeunes peuvent apprendre de lui. J'espère être capable d'aider à l'entraînement. Maintenant, il y a plus d'investisseurs. Avant, ils nous donnaient beaucoup de temps pour les films d'action. 3 jours pour une prise, mais maintenant, c'est 2 minutes pour uneprise. J'espère que quand Jacky Chan reviendra, il donnera une chance aux jeunes. Plus ils pratiqueront, plus ils apprendront. Hong Kong a toujours un groupe de bons faiseurs de films. Personnellement, je passerai plus de temps derrière la scène. Certaines personnes me demandent d'aller à Hollywood, mais je suis content de rester à Hong Kong, je suis mauvais en anglais, j'ai toujours besoin d'un interprète. Je connais la production et le reste à Hong Kong. Je me sens plus confortablement installé ici, et je peux faire de bons films. Mes réalisateurs me donnent des chances, et j'aime mes collègues HOng Kongais. Les jeunes apprennent de moi, et j'aimerais contribuer à leur formation.

Tous nos remerciements à Sharon, Daniel, Philip et Ka-Lok!

date
  • octobre 2003
crédits
Interviews