Anthony Wong, un homme à lunettes

Comment s'attaquer au portrait d’une star sans user d’adjectifs convenus, de transitions aux normes et autres descriptifs lourdingues ? Comment peut-on caractériser un acteur qu’on apprécie en le définissant autrement qu’avec les sempiternels « charisme », « talent », « magnétisme », « présence », « classe » etc ?

Changeons l’angle d’approche et parlons peu parlons bien : Antony Wong, que nous appellerons désormais Tony pour plus de commodité. Il est certes la classe incarnée MAIS ça n’a pas toujours été le cas ET il dispose d’un outil primordial : ses lunettes. ET j’ai écrit « classe », donc j’ai en effet droit à un blâme. L'exercice va être rude...

Je propose de faire un p’tit tour non exhaustif – faut pas pousser - de quelques éléments de sa filmographie à l’aide de cet ornement étrange que les humains se collent sur le nez et les oreilles, ou quand un sens se repose sur deux autres pour en arriver à gonfler son acuité. Si le cinéma fait la part belle à la vue, l’odorat n’y a jusqu’ici été développé que chez des zozos comme John Waters et… oui ? L’ouïe ? Ah si, l’ouïe est importante, et la monture d'une paire de lunettes fait office de prolongement évident, de prise jack reliant l’œil à l’oreille, les images aux sons et à la musique. D’ailleurs, Louis Koo me signale dans mon oreillette que, en effet, Louis, c’est important. Merci, Louis.  

La révélation



A ce que j’en ai vu – et je n’ai pas tout vu – la révélation divine est intervenue à la toute fin du 20ième siècle. Avant cela, Tony incarnait fréquemment le méchant de service, un métis gweilo au sur-jeu constant. Il arborait bien souvent de très gras cheveux longs, un regard halluciné et des lunettes plus ringardes que classes. Non, pas de blâme svp, le mot « classe » est ici hors contexte. Est-ce l’âge et la durée qui ont permis à Tony d’accéder à cette respectabilité de la lunette poseuse, d’atteindre un rôle à la lenteur fluide, « the less is the best », après des années passées à gesticuler, à violer à tour de jambes, à se masturber dans des steaks et à hurler "Va fa enculo !" aux passants en leur crachant au visage son virus mortel ? Tout ceci est bel et bien fini. Du passé faisons table rase, désormais, qu'on se le dise, Tony est rangé des décharges, sorti de son camion benne, prêt à remplacer au pied levé un David Caruso dans une énième déclinaison proprette de CSI : Les Experts à Hong Kong !

Ou alors… ou alors la rétrocession lui a donné de la valeur, comme si tous ces habitants de l'ex-colonie sur le point de passer à la Chine en 1997 se rendaient soudainement compte que Hong Kong, question symboles et icônes, devait beaucoup à un acteur comme Tony. 

Ou alors... ou alors c'est Beast Cops qui a tout changé.

Beast Cops (1998)



Tony soulève ses lunettes comme on lève le masque : la frime côtoie le réel, elle en fait intégralement partie. Dans ce film on nous démontre que les apparences dictent le réel, que d’un courant esthétique peut dépendre une appartenance à un groupe ou encore l’affirmation de sa différence. Dans Beast Cops, HK y est aussi grand que petit : quand on baigne dans la rue dans ce milieu flic-voyou tout le monde se connaît. De l’image que l’on renvoie aux autres peut dépendre sa propre survie. Dans ce chef d’œuvre où l’on nous montre que l’univers chic et choc de Wong Kar Wai peut avoir un sens plus profond que le bel aspect sensoriel affilié à l’artiste, tout se complète, se juxtapose, et le superficiel rejoint le primordial quand ceux qui ont l'argent et le flingue l’ont aussi comme critère de jugement. La lunette, dans ce cas, rejoint celle du sniper et s'avère fatale.

Quand la lunette des chiottes se lève, la vérité éclate et la femme se révèle homme. A l'apparent fou dingue Tony, jusqu'ici chantre du Catégorie III, de respecter son habituel cahier des charges hystérique en même temps qu'il se pose, calme, le regard lointain, au balcon d'un des nombreux appartement qui émaillent la ville. En quelques plans seulement il gagne le respect de ses détracteurs, ceux qui jusqu'alors méprisaient un peu trop facilement les travers d'un Cat III aussi cinéma poubelle qu'humainement primaire. Parce qu'il assume nos honteux instincts bestiaux qu'un costard et une jolie photo s'évertuent ailleurs à masquer. Avec la rétrocession, back to the basics, toute forme d'excès prend tout son sens. Comme si repartir de zéro devait d'abord passer par un retour passager à l'âge des cavernes. Peaux de bête, caca tout chaud sur la pierre, fornication brutale... et lunettes levées, autant pour marquer la stupéfaction que le rejet inconscient d'un objet soudain devenu anachronique. Tony fut élu Meilleur acteur aux HK Film Awards de 1999 avec ce film.  

The Mission (1999) - Exilé (2006) - Vengeance (Johnnie To, 2009)

 

The Mission (à gauche) : s'exiler ! (à droite)

Tony conserve son rôle de The Mission tout en en jouant un autre dans sa fausse suite qu’est Exilé ainsi que dans la fausse suite de cette fausse suite qu’est Vengeance. Après la mission, on s’exile puis on se venge. Etudions méthodiquement l’évolution de ces films en se focalisant sur les lunettes de Wong.



Vengeance ! On va brûler toutes les mauvaises critiques du film !

Dans The Mission, elles sont à peine teintées : ce sont des lunettes de vue. On reste dans un métrage à la portée plutôt sérieuse de ce qui reste comme un western urbain, oui, mais travaillé avec un certain sens du premier degré. Avec Exilé on bascule doucement dans la catégorie branlou et roulage de mécaniques : notez cette finition de la monture, cette teinte qui n’a plus rien d’une lunette optique mais qui laisse suffisamment filtrer le regard pour mettre en avant un jeu d’acteur qui donne toujours un minimum d’ampleur aux aspects dramatiques. Puis on oublie tout dans Vengeance, on gomme toutes les nuances et on se vautre gaiement dans l’auto parodie : les lunettes de soleil sont larges, bien noires, la photo bleuté du film gomme toute forme de rayon de soleil qui justifierait ce porté de lunettes et la clope au bec insiste bien sur la puissance du gimmick en lieu et place de toute forme de jeu. On est dans le résidu de jeu, le reliquat de film, la paire Tchin-Tchin à 1 euro d'Afflelou - Optique 2000 plutôt, Johnny Halliday se promène dedans -, l’écho lointain d’une œuvre épuisée, une trilogie qui n’en est pas une : juste un film décliné jusqu’à plus soif.

En vrac

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Anthony Wong en mode sérieux : Time and Tide à gauche ; Infernal Affairs 2 à droite. Ou quand le visagiste passe au premier plan devant le paysagiste.

En 2000 c'est l'explosion de rôles pour Tony. Dans la base Cinemasie on compte rien de moins que 24 films qui le créditent sur cette seule année pour "seulement" 15 en 1999 ! Au milieu du tout venant et de quelques curiosités on notera sa participation au Time and Tide de Tsui Hark, où il y prolonge sa stature de garde du corps de The Mission. Avec des lunettes... de vue. Dans un second rôle il s'imposera un peu plus tard dans Infernal Affairs (2002) puis vampirisera toute sa suite avec un porté de lunettes de soleil pertinent en cela qu'il a lieu... sur la plage. Ah ah ! On fait moins les malins les détracteurs, là, hein ??! C'est crédible des lunettes de soleil sur la plage, puisqu'il y a du soleil ! J'aimerais m'attarder davantage sur la place importante d'Infernal Affairs 2 dans la filmo de Tony mais c'est un brin hors sujet ici. Enchaînons rapidement avec le raté mais intéressant A1 Headline de Gordon Chan (2004) qui doit également beaucoup à Tony et ses lunettes pleines de mystères et d'émotions retenues, qui semblent comme cacher une terrible vérité. Mais laquelle ? 

Colour Of The Truth (Wong Jing, 2003)

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Mais... mais qui sont ces gens ? Quel affreux porté de lunettes ! Quelle horreur ! Où est Anthony ?!!

Concluons cette page avec LA consécration de Tony qu'est ce Colour of the Truth ! Comment comment ? Ca n’est qu’un Wong Jing foutraque, un truc post Infernal Affairs sous influence, un de ces milliers de films créés dans le sillage d'un autre qui, lui, aura marqué son temps, son public, le box-office ? Alors faut pas déconner déconner-nez ? C’est parfaitement vrai, je vous le concède – et le con cède souvent devant le bonimenteur – mais Marco Mak est en renfort à la réal' et, surtout, Tony y est tout bonnement parfait ! En plus du film, de ses fringues et de ses flingues il porte avec classe la plus belle paire de lunettes de toute sa filmographie ! (3ième blâme). Il rend très chouette une simple bonne série B par sa seule présence (4ième blâme). Regardez cette fière monture ! Les oreilles de Tony sont propices à l'amerrissage de lunettes en douceur. Voyez cette fixité, ce formidable segment de chair qui lie l'oreille au visage. Ca tient ! La magie opère et la couleur de la vérité se lit enfin dans les yeux d’Anthony Wong : c'est un acteur, dont le métier consiste à mentir. Tout ceci n'est que cinéma ! Ah, quel talent ! Talent... Un blâme ? Non, vous n'allez quand même p... « BLAM ! »

 

Aaaaah, le voilà ! Pourtant à gauche au second plan, Anthony Wong reste au premier : on ne voit que lui. Ca n'est pas bien dur, il faut l'avouer, même tout seul dans le cadre Raymond Wong s'arrangerait pour se faire piquer la vedette par sa montre. A droite, Tony porte ses lunettes comme CYF son cure-dent dans ABT : just for life.

Bonus Cinemasie : le mot de la fin par Anthony Wong himself !

 

" Vous m'avez percé à jour les gars, bravo. Je ne comprends pas très bien à quoi ça vous avance tout ce bordel, mais si ça vous permet d'être plus heureux sur terre, c'est très bien. Sur ce : tchao ! Et n'oubliez pas : A toute épreuve est un film de merde. Va fa enculo !!"


Dossier de 2011




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  • May 2021
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