Japon: De l'ère des pionniers à l'âge d'or du muet

L'ère des pionniers (1896-1923)

Débuts du cinéma et benshis

En novembre 1896, le premier système cinématographique arrive au Japon. C'est le Kinéscope, inventé par EDISON en 1889 et montré au public américain en 1893. Ce système permet de voir défiler des images par un oculaire, sans le son. En février 1897, c'est le cinématographe avec images projetées sur grand écran des frères Lumière qui arrive de France. Les premières projections ont lieu à Osaka. Dans d'autres villes du pays, des cinématographes importés arrivent et font ainsi apparaître en moins de 6 mois le cinéma dans plusieurs endroits du Japon. En plus de l'orchestre, la projection de films muets va être accompagnée d'un benshi. Ce dernier a pour role de commenter et d'expliquer les dialogues. Très populaires, ils vont jusqu'à jouer un rôle dans le succès d'un film. Son travail va en effet se transformer en art de conter et cet art devenir à lui seul une attraction. En 1908, la société M. Pathé filme une troupe de théâtre très populaire composée de jeunes filles. Lors de la présentation de ce théatre filmé, vient l'idée de faire dire les dialogues par les actrices. C'est ainsi que se développera le métier d'imitateur. Dans ces cas on se passe d'intertitres. Pour les films étrangers avec intertitres, le benshi dit tous les dialogues et commente le récit. En Occident, le cinéma développe une technique d'expression usant des intertitres et des images (gros plan, montage...). Du fait des doubleurs, le Japon en reste au théâtre filmé. Leurs grandes années sont 1908-1920. Les intellectuels admirateurs de cinéma occidental demandent leur suppression. Certains vont tourner des films usant des intertitres au début des années 20 et faire décliner les films nécessitant des doubleurs. Les benshis demeureront néanmoins des stars et ne disparaîtront qu'en 1931-35, époque de transition muet/parlant.

Le cinéma et le pouvoir en place

La guerre russo-japonaise va changer le statut du cinéma au Japon. C'est en effet l'époque où le monde entier Japon compris envoie des caméras sur les champs de bataille du Nord-Est de la Chine. Désirant voir des batailles historiquement décisives, le peuple japonais se presse dans les cinémas passant de lieu de divertissement à lieu d'information. Ces films de guerre jouent le rôle de stimulant du sentiment national et font progresser les entrées en salles. Lors du retour triomphal de l'amiral TOGO vainqueur de Tsushima, CHIBA Kichizo, de la société Yoshizawa, le suit lors du défilé caméra à la main. Il est un des premiers au Japon à pratiquer le travelling. Avec ce dernier à la caméra, TAKAMATSU Toyojiro, dirigeant d'un mouvement ouvrier, réalise un film satirique sorti avec son propre commentaire dans une salle à Tokyo. Ancien ouvrier du textile, TAKAMATSU joue aussi dans un yose (petite salle de théâtre populaire) où il présente aussi ses films. Il incarne une des premières expériences de cinéma populaire satirique sous forme de spectacle de variétés. En 1908, la colonisation de la Corée par le Japon est presque achevée et le pouvoir en place va demander à des sociétés de cinéma des films pour rassurer la population coréenne. Un lien direct cinéma/autorités politiques se met en place pour n'être rompu qu'à la fin de la seconde guerre mondiale.

Les débuts des studios


En 1908, la société Yoshizawa construit le premier studio de cinéma japonais dans le quartier de Meguro à Tokyo. Entièrement vitré, le batiment permet de filmer en lumière naturelle. La société Yokota de Kyoto, importateur dynamique, se lance ensuite dans la production cinématographique. Elle confie la réalisation d'un film au directeur de théâtre MAKINO Shozo. Sans expérience du cinéma, ce dernier fait une mise en scène de théâtre. L'un des acteurs de la troupe, ONOE Matsunoke, deviendra une star de cinéma plus tard. En 1911, le catalogue de la Yokota comporte 200 films. Parmi eux, on a les 47 Ronins (1910), film de 80 minutes qui est le plus ancien long métrage japonais conservé à ce jour. La société M. Pathé (rien à voir avec Pathé) se lance dans la production de cinéma à la même époque. Elle produit des pièces de théâtre filmées avec la troupe féminine de NAKAMURA Kasen et importe des films de vulgarisation scientifique. Subventionnée pour ses activités pédagogiques par l'état, elle incarne un des premiers essais d'éducation audiovisuelle. Un des films les plus connus de la société est Reportage sur l'Antarctique. Société fondée à la fin du Meiji (1868-1912), Fukuhodo posséde 8 salles de cinéma à Tokyo et produit à forte cadence pour remplir son parc de salles. Les 4 sociétés mentionnées fusionnent en 1912 pour donner la Nikkatsu (Nihon Katsudo Shashin Kabushiki Kaisha: Société Anonyme du cinéma japonais), première Major japonaise.

Spectacles combinés et premières stars


Exceptions à la règle, des troupes de Kabuki exclusivement féminines existent. On a cité celle de NAKAMURA Kasen, cette dernière pouvant être considérée comme la première femme star du cinéma japonais. En 1904, une troupe de shinpa avait expérimenté l'insertion d'un reportage filmé dans une représentation théâtrale. Le procédé est vite copié pour présenter les acteurs avant leur arrivée sur scène. A partir de 1909, Nakamura en use beaucoup, le nommant "spectacle combiné". A cette époque, le cinéma occidental que découvrent les spectateurs nippons est marqué par l'avènement des stars femmes. Le public attend dès lors l'apparition de vraies actrices japonaises de cinéma. En 1912, la Nikkatsu produit beaucoup dès sa fondation: 13 films sur les 4 derniers mois de l'année, 90 films en 1913. Deux grands lieux de tournage: les ex-studios Yokota à Kyoto et de nouveaux studios au bord de la rivière Sumida à Tokyo: les studios de la Nikatsu à Mukojima. La séparation jidaigekis tournés à Kyoto/gendaigekis tournés à Tokyo se met en place pour longtemps. Première star du cinéma japonais, Onoe Matsunosuke va confirmer son statut en passant de la Yokota à la Nikkatsu. Membre d'une troupe de théâtre ambulant, il avait été engagé en 1909 par MAKINO Shozo. En 1914, le film Jiraiya inaugure un nouveau genre cinématographique avec de nombreux truquages, le tout avec un vrai succès public.

Nikkatsu à Mukokajima, Shochiku à Kamata

Construits dans le quartier de Mukokajima en 1912, les studios de la Nikkatsu seront très actifs jusqu'à leur fermeture consécutive au séisme de Tokyo de 1923. Vers 1915, les studios Nikkatsu emploient moins de 50 personnes et produisent un film par semaine. Le premier gros succès du studio est Katioucha (1914), une adaptation de Résurrection de TOLSTOÏ. Cette dernière oeuvre avait déjà été adaptée à la scène et jouée avec succès par une troupe de shingeki. A l'écran, le succès du film est porté par l'impact d'une pièce de théâtre d'origine ayant marqué le public par son féminisme. En dificulté financière, la Nikkatsu est sauvée par le succès du film. Pour exploiter le filon, deux suites seront produites. Productrice de spectacles de kabuki, la Shochiku fonde la Shochiku Kinema pour tenter de rivaliser avec la Nikkatsu. Elle envoie TAGUCHI Oson, un ancien journaliste, à Hollywood pour acheter des équipements, faire venir des techniciens et étudier l'industrie hollywoodienne. Des techniciens japonais en poste à Hollywood seront ainsi entre autres engagés, KOTANI Henry par exemple. Avant de construire ses studios, la Shochiku Kinema crée une école de formation d'acteurs et invite le metteur en scène de shingeki OSANAI Kaoru à la diriger. Ce dernier est alors connu comme spécialiste du théâtre moderne et occidental. Il va produire avec ses élèves des films expérimentaux. Parmi eux, on a MURATA Minoru, fils d'un bourgeois engagé dans un mouvement de rénovation du théâtre, ITO Daisuke, ouvrier dessinateur dans un atelier de la marine impériale, SHIMAZU Yasujiro, USHIHARA Kiyoshiko et SUZUKI Tsuguakira. Ni OSANAI ni ses élèves ne connaissent encore les techniques du cinéma. En 1920, la première tentative du groupe est Désert, scénarisé par SHIMAZU et réalisé par un TAGUCHI Oson de retour d'Hollywood. Il veut diriger les acteurs plan par plan, sans expliquer la situation générale, à l'américaine. Avec l'aide d'ingénieurs invités des USA, la Shochiku contruit un studio au milieu des rizières de Kamata dans la banlieue de Tokyo. En 1920, KOTANI devient cinéaste et réalise Nouvelle Vie. Il va reproduire les méthodes de direction d'acteurs de TAGUCHI pour plus de spontanéité.

Cette technique sera ensuite développée par SHIMAZU et OZU. Mais les acteurs de la Nikkatsu venant du théâtre ont du mal à accepter cette méthode à une époque où les acteurs élaboraient seuls leur jeu. Mais la Shochiku recrute des non-professionnels pour former ses acteurs. Et les réalisateurs venant d'Hollywood ou du shingeki se comportent de façon autoritaire, créant un jeu d'acteurs plus moderne. Dès la première année de l'école de formation, MURATA, USHIHARA et SHIMAZU réalisent des films alors qu'ITO écrit des scénarios. Mais les films produits sont des échecs commerciaux. Originaires du théâtre commercial, les principaux réalisateurs de la Shochiku apprécient peu l'école et elle ferme au bout de 6 mois. OSANAI et ses élèves créent alors une filialede production: l'Institut Shochiku Kinema. A cette époque, la Shochiku forme des actrices souvent filles d'artistes. En général, seuls ces derniers autorisent leur fille à entrer dans le métier. Emerge ainsi leur première star femme KURISHIMA Sumiko. Elle joue souvent des femmes malheureuses qui sont aussi des femmes fortes. En 1921, l'Institut Shochiku Kinema sort 3 films: Ames sur la route (scénario USHIHARA, réalisation MURATA), la Montagne au crépuscule (écrit, réalisé par USHIHARA) et Sans que tu saches! (écrit, réalisé par MURATA). Le premier attirera l'attention des intellectuels par son côté expérimental. Après leur échec commercial, l'institut ferme. OSANAI quitte la profession, USHIHARA et SHIMAZU intègrent les studios principaux de la Shochiku et y imposent un cinéma plus proche de la réalité japonaise. ITO Daisuke écrit encore des scénarios avant de rejoindre la Teikoku Kinema. MURATA deviendra plus tard un cinéaste important à la Nikkatsu. 

Expérimenter le découpage

Un rouleau de pellicule contient 17 à 22 scènes de 2/3 minutes chacune. Aucun gros plan: la caméra est très éloignée du décor. Et les acteurs doivent réellement dire leur texte pour que le mouvement de la bouche soit synchrone de ce que diront les benshis. Mais au lieu d'apprendre leur texte, les acteurs répètent ce que le cinéaste leur dit. Chaque tournage se fait sans essai préalable. Et si le rouleau s'achève, les acteurs doivent garder leur position pendant le changement de rouleau. Mais dans le cas d'un enchaînement raté, on intercale un autre plan dans l'intervalle par la technique du cut back: montrer une image à des distances et sous des angles divers. Il ne s'agit alors que de compenser un défaut. Comme le travail du doubleur est plus aisé s'il n'y a que des plans séquences (et comme les professionnels comptent sur eux pour attirer le public), le découpage n'est pas encouragé. En 1920, lorsqu'il intègre une Nikkatsu où cut back et gros plan sont déjà pratiqués, MIZOGUCHI restera attaché au plan séquence par volonté. A l'opposé, d'autres cinéastes expérimenteront le découpage. En 1914, TAMURA Uichiro est le premier à l'employer volontairement avec La Femme dans les flammes. Diplômé de l'Ecole des Ingénieurs de Tokyo, KAERIYAMA Norimasa publie lui un ouvrage sur la technique cinématographique en 1917. Engagé par la société Tenkatsu (Tennen Shoku Katsudo Shashin Kabushiki Kaisha: "Société anonyme du cinéma en couleurs naturelles"), cet intellectuel s'y occupe de l'importation. Autorisé à réaliser des films expérimentaux pour l'export, il réalise en 1918 L'Eclat de la vie et La Fille de la Montagne Profonde. A contre-courant de l'époque, KAERIYAMA écrit les scénarios et fait des comités de l'ecture avec l'équipe du film. Il a recours à des intertitres et use du gros plan.

Ces méthodes courantes en Occident sont une révolution au Japon et la sortie des films est repoussée par le service commercial de peur de l'opposition des doubleurs. Les films marquent également la première intrusion massive des comédiens du cinéma dans le shingeki. En 1920, le troisième film du cinéaste, la Femme rêvée, est adapté d'une nouvelle anglaise. Comportant la première scène de nu du cinéma japonais (en plan lointain), le film marquera par son thème (l'amour charnel) et son style audacieux pour l'époque. Un autre rénovateur du cinéma sera KURIHARA Thomas, acteur revenu d'Hollywood en y ayant étudié aussi le cinéma. Devenu conseiller littéraire dans la société Taisho Katsuei fondée avec l'argent d'un trust de construction navale, TANIZAKI Junichiro y écrit des scénarios. Il attire des passionnés de cinéma vers la Taisho Katsuei, société créant aussi une école d'acteurs. Scénarisé par TANIZAKI, Amateur Club (1920) est réalisé par KURIHARA. Dans cette comédie burlesque sous influence hollywoodienne, KURIHARA recrute des débutants afin d'obtenir plus de spontanéité à une époque où le cinéma japonais considérait que les acteurs devaient venir du théatre. Le film semble etre la première tentative aboutie de montage moderne et utilise le cross cutting, technique parfectionnée par GRIFFITH développant deux récits en meme temps avant de les réunir.

Les innovations de KAERIYAMA, KURIHARA et OSANAI vont vite faire école. Les rôles féminins ne sont plus interprétés par des hommes, les films sont moins doublés et intertires et benshis se généralisent. Face à cela, la Nikkatsu met en place une division spécialisée dans les films utilisant des actrices à côté de ses divisions de films nécessitant des imitateurs. Sentant l'extinction du métier, l'acteur de roles féminins KINUGASA Teinosuke part à la Makino Eiga pour devenir cinéaste. Et un film comme La Boutique Kyoya (1922) va incarner le dernier souffle de l'ancienne manière. Mécontents des changements à la Nikkatsu, les acteurs de roles féminins démissionnent le soir de l'avant-première. La Nikkatsu en profitera pour recruter de jeunes actrices du shingeki et MIZOGUCHI se retrouvera promu d'assistant à réalisateur. Les tentatives de rénovation présentes dans le gendaigeki feront aussi école dans le jidaigeki. Un film comme Shimizu no Jirocho (1922; réalisation NOMURA Hotei, scénario ITO Daisuke) va frapper par son action débridée à l'opposé de la tradition du genre. Peu satisfait d'un manque de liberté artistique malgré le succès de ses films avec ONOE, MAKINO Shozo va produire des films pédagogiques puis fonder la Makino Eiga. Il y développe une pépinière de scénaristes introduisant plus de profondeur psychologique dans le jidaigeki. Les héros du scénariste SUSUKITA Rokuhei montrent ainsi des samourais en révolte contre l'oppression et s'autodétruisant par la violence. SUSUKITA trouve l'acteur qu'il lui faut en la personne du figurant BANDO Tsumasaburo. Formé au kabuki, ce dernier enchaîne les mouvements là où ses collègues s'arretent à chaque coup de sabre. En résultera une série de films à succès dont Orochi (1925) qui inagurera la mode des longs combats à un contre plusieurs.

Les Japonais à Hollywood

L'histoire du cinéma japonais de l'époque va aussi passer par les expériences de Japonais à Hollywood. C'est l'époque où beaucoup de Japonais vont travailler à Hollywood comme assistants, chef opérateurs ou acteurs. HAYAKAWA Sesshu va devenir une star internationale. KAMIYAMA Sojin va avoir une carrière dans les seconds rôles. KOTANI Henry et KURIHARA Thomas reviendront eux au Japon et contribueront au progrès de son cinéma. Il s'agit souvent d'immigrés désireux de succès après un échec au Japon. Le rapport du Japon à ceux qui réussissent à Hollywood sera ambigü : reproche d'entretenir des préjugés anti-japonais, réussite admirée. HAYAKAWA Sesshu tournera dans des films où les Japonais sont représentés de façon négative, suscitant l'indignation au Japon. Mais HAYAKAWA deviendra une vraie vedette, acclamé y compris par une critique française louant sa retenue de jeu à l'opposé des expressions exagérées des acteurs américains. Et à son retour au Japon il sera accueilli en triomphe. Tous ne réussiront pas aussi bien et certains rentreront au pays. A noter qu'en 1917 est fondé le Syndicat des Acteurs Japonais à Los Angeles afin d'aider la communication entre acteurs, de négocier avec les producteurs et de faire de la prévention de films nuisant à l'image du Japon.

Séisme et fin d'époque

Le 1er septembre 1923, le tremblement de terre de Kanto va être une date décisive pour le Japon moderne. La catastrophe va jouer le rôle d'accélérateur de révolution culturelle et faire émerger une culture populaire à l'Américaine. En 1924, le premier bus circule à Tokyo. Le roman populaire, plus ancré dans la fiction, remplace vite le kodan, art oral narrant des évènements historiques. Les studios Nikkatsu seront détruits par le séisme. Les réalisateurs de gendaigeki migrent alors vers les studios de Kyoto. MIZOGUCHI en profite pour s'imprégner de culture traditionnelle. Les studios Shochiku sont un peu moins dévastés. La plupart des équipes partent pour Kyoto tandis que d'autres (le producteur KIDO Shiro) restent sur place. En l'absence de vedettes, ils mettent en place un cinéma réaliste drôle, triste et ancré dans le quotidien.

Les grandes années du muet (1923-1934)

Le style Kamata

Dans les années 20, les studios Shochiku de Kamata vont imposer un style revitalisant le cinéma japonais de son temps sous l'impulsion du producteur KIDO Shiro. Ayant d'abord travaillé dans la finance, ce dernier intègre la Shochiku en 1922. Son mariage avec la fille du directeur du studio de la famille duquel la sienne est proche lui permet d'être nommé directeur des studios de Kamata en 1924. Pratiquant comme lui assez l'anglais pour s'inspirer des documentaires américains USHIHARA Kiyohihiko travaille à ce moment-là comme cinéaste au studio. C'est ainsi que les studios de Kamata vont élaborer une politique visant à introduire à grande échelle au cinéma les techniques hollywoodiennes. A une époque où quelques figures issues du théâtre et liées au studio font déjà avec succès du cinéma dans le style shinpa, KIDO et USHIHARA vont former une nouvelle génération de cinéastes formée de jeunes gens sans liens avec le théâtre et épris de cinéma américain. KIDO va apporter ainsi au cinéma japonais un réalisme quotidien et un humanisme optimiste. On compte parmi eux USHIHARA, SHIMAZU Yasujiro et SAITO Torajiro. D'autres tels que SHIMIZU Hiroshi, GOSHO Heinosuke et un OZU qui intégra la studio en 1923 seront aussi fidèles à cette vision jusqu'au début des années 30 même s'ils tenteront progressivement de s'affranchir de ce cadre. La fin des années 10 a été marquée au Japon par une invasion du cinéma hollywoodien.

Les succès publics de ces films-là s'expliquent par l'évocation d'une situation historique américaine ayant bien des points communs avec celle du Japon: urbanisation accélérée, abandon de la compagne pour aller travailler en ville, attrait des tentations urbaines au détriment de l'idéal communautaire villageois et de la rigueur paysanne du travail. La jeune garde rassemblée autour de KIDO va tenter d'adapter cet aspect du cinéma américain à la situation du Japon. Où est ma mère? (1922) d'USHIHARA est ainsi une adaptation d'Over the hill qui servira par la suite de modèle à bien des films traitant de la mère. Perçu au Japon comme un cri d'alarme face à une baisse de considération vis à vis des parents consécutive à la modernité, le film fut remaké plusieurs fois par la suite, notamment par OZU (Les Frères et Soeurs Toda, 1941). USHIHARA séjournera brièvement aux Etats-Unis en 1926 dans les studios de CHAPLIN avant devenir réalisateur à Kamata. L'influence d'Hollywood se retrouve aussi dans le choix des acteurs. Des étudiants sportifs sont choisis comme acteurs et imposent un nouveau type de virilité: un homme sportif, robuste, timide avec les femmes et prêt à tout pour l'être aimé. L'exemple le plus célèbre est SUZUKI Tadaaki, champion olympique de natation alors qu'il était étudiant et pratiquant moto, judo, navigation et équitation. Talents bien évidemment exploités à l'écran. On le verra sous la direction d'USHIHARA dans Lui et Tokyo (1928), gros succès en son temps. Ce style jeune premier est très différent de la virilité courante dans le théâtre et cinéma japonais de l'époque.

Gosho, Saito, Ozu, Murata, Kinugasa

Parmi les cinéastes marquants de l'époque Kamata, on a d'abord GOSHO Heinsuke. GOSHO aura notamment beaucoup utilisé dans ses films des extérieurs très prisés à l'époque des studios Kamata pour leurs tournages: Itako et Izu, lieux très facile d'accès depuis Tokyo. GOSHO est le fils d'un riche commerçant de Tokyo mais c'est sa mère, une geisha maîtresse de son père, qui l'élève. Lorsqu'à 5 ans, l'enfant de la vraie femme de son père meurt, il va vivre dans la maison du père et est élevé par sa belle-mère. C'est ce hasard qui lui permet de grandir dans des conditions aisées. Sa vraie mère doit elle rester discrète et son frère cadet est handicapé par une paralysie infantile. Il en résultera un cinéma ne cherchant pas à susciter la compassion mais à vraiment défendre les faibles et souligner leurs qualités humaines. Seuls deux de ses films muets ont été conservés: La Danseuse d'Izu (1933) et l'Amour (1933). Ses thèmes seront repris par un Naruse qui travailla comme assistant de GOSHO un temps et par un OZU faisant ses classes en studio au meme moment. TANAKA Kinuyo sera la star fétiche de GOSHO à cette époque. On la verra notamment en geisha dans l'Histoire de Kinuyo (1930), gros succès en son temps.

A cette époque, KIDO Shiro a l'idée d'ajouter un court métrage comique au programme traditionnel (un film d'époque, un film moderne). C'est de cette façon que s'affirmera SAITO Torajiro. Son succès correspond à l'âge d'or du burlesque qui est aussi celui du muet, avant que plaisannterie verbale et chansons ne prennent la place des gags gestuels avec le parlant. Considéré désormais comme trop commercial et vulgaire, il fut en son temps vu comme un génie, un "roi de la comédie". Si beaucoup de ses parlants furent sauvés, Progéniture tumultueuse (1935) est son seul muet conservé. Bien plus d'OZU de sa période muette ont par contre été conservés. Bien loin de l'image de cinéaste "si japonais" qu'il a désormais en Occident, il était vu comme une figure du modernisme au cinéma très américanisé à une époque où il vénérait WELLMAN, LUBITSCH et VIDOR. Parmi ses films muets, Gosses de Tokyo (1932) appartient au genre issu du gendaigeki shoshimin. Les shoshimin sont des salariés ayant fait des études, travaillant dans des bureaux mais sans fortune personnelle et vivant tout juste de leur salaire. Conscients de n'être que des travailleurs intellectuels, ils se désigneront par ce terme. Après la crise de 1929, leur situation devient difficile et c'est cette dernière qu'évoquent les films du genre shoshimin.

On a évoqué plus haut les conséquences du tremblement de terre de 1923 sur la Nikkatsu. A Kyoto, les cinéastes tournant des jidaigekis deviennent la "première équipe", ceux tournant des gendaigekis la "deuxième équipe". Parmi ces derniers, on trouve MURATA Minoru qui quitta la Shochiku pour la Nikkatsu peu avant le tremblement de terre. Il s'était senti en effet responsable de la crise financière du centre de recherche cinématographique de la Shochiku à cause de ses films d'avant-garde tournés vers l'Occident. Plusieurs succès consécutifs en font le leader du cinéma japonais. Omitsu et Seizaburo (1923) et l'Epouse de Seisaku (1924) sont deux gendaigekis mais le double suicide et le heros gentil incapable d'aider l'héroine renvoient au jidaigeki de CHIKAMATSU. S'il revient à des thèmes plus traditionnels qu'à la Shochiku, ces films ne glorifient pas le sentimentalisme et la société féodale à l'origine des doubles suicides: Omitsu et Seizaburo soutient la lutte des classes, L'Epouse de Seisaku dénonce guerre et société féodale. Ce dernier film fut remaké par MASUMURA. Son plus gros succès public et critique de l'époque fut le Magicien de la ville (1925), mélodrame influencé par GRIFFITH et BORZAGE et aujourd'hui disparu. MURATA tente de vendre son film en Occident mais l'accueil critique est catastrophique. A Paris, le film est vu comme trop lent et occidentalisé. A Hollywood, on lui reproche d'être une imitation.

Un autre cinéaste eut plus de chance en Occident. Le jidaigeki Carrefour (1928) de KINUGASA Teinosuke fut un des premiers succès nippons à l'étranger. L'écart de perception entre les deux s'explique probablement par une réalité historique: le jidaigeki fut toujours salué plus vite et plus facilement que le gendaigeki en Occident et la suite de l'histoire du cinéma japonais le prouva. Mais Carrefour fut aussi un pari risqué. Après son départ de la Nikkatsu où il était onnagata, KINUGASA se lance dans la réalisation. Désireux de faire un film personnel, KINUGASA prend le risque de se ruiner et fait produire son film Une Page Folle (1926) par la Kinugasa Eiga Renmei (Fédération Indépendante Kinugasa), sa maison de production indépendante. KINUGASA parle de son projet à YOKOMITSU Riichi, leader du groupe littéraire néo-sensationnaliste. Ce dernier privilégie le recours à l'allégorie et à la métaphore au détriment du récit explicatif. Chose correspondant au projet de KINUGASA. YOKOMITSU est un ami de KAWABATA et c'est par ce biais que Kawabata va scénariser le film. Le film a été depuis comparé au travail des expressionnistes pour la photographie, à celui d'EISENSTEIN pour le montage comme à la future avant-garde française par sa négation du récit. S'il crée la notion d'avant-garde au Japon, le film est un échec public. Kinugasa Eiga Renmei revient dans le giron de la Shochiku. Malgré des succès commerciaux, elle est de moins en moins rentable. Avant la dissolution, l'équipe tourne Carrefour avec pour décor des morceaux de bois et des cartons récupérés un peu partout et sommairement peints pour représenter une vieille cabane. L'effet produit évoqua à l'époque les décors exagérés d'un expressionnisme allemand en vogue. Considérés comme disparus, ces deux films ont été récemment retrouvés et rediffusés dans le monde.

Le Nouveau gendaigeki et l'explosion des actrices

Après s'etre fait connaître à Hollywood dans des seconds rôles sous le nom de Jacky ABE, ABE Yutaka rentre au Japon en 1925. Engagé immédiatement à la Nikkatsu, il y travaille comme réalisateur, donnant ses ordres en anglais tout en montrant aux acteurs gestes et poses appris à Hollywood. Il tourne alors des oeuvres très fraîches, très américanisées telles que La femme qui a touché les jambes (1926) ou 5 femmes autour de lui (1927). Dans le premier, UMEMURA Yoko marque les esprit en femme très anglo-saxonne s'imposant face à OKADA Tokihiko, l'acteur le plus moderne de l'époque. On verra ensuite OKADA dans de nombreux Ozu à la Shochiku avant sa mort en 1934 à 34 ans. Les années 20 sont les grandes années de LUBITSCH et OZU et GOSHO diront avoir beaucoup appris de son cinéma. A la Nikkatsu, Mizoguchi exploite aussi le duo OKADA/UMEMURA mais cette fois en jeunes gens agités de sentiments typiquement japonais avec le Murmure printanier d'une poupée de papier (1926) et Nihonbashi (1929). Et à la différence d'ABE, MIZOGUCHI s'en tient à un style shinpa.

Le renouveau du jidaigeki

Après avoir écrit des scénarios et des adaptations pour la Shochiku, ITO Daisuke va d'une petite production à l'autre avant de s'établir en 1926 à la Nikkatsu de Kyoto. Alors qu'il commence à y travailler comme réalisateur, il remarque l'acteur de théatre OKOCHI Denjiro et décide d'exploiter sa personnalité au cinéma. S'en suivent des films au succès public comme critique important: la trilogie des Carnets de voyage de Chuji (à partir de 1927), celle des Nouvelles éditions des jugements d'Oka (à partir de 1928)... Ce qui distingue ces films est une fraîcheur contrastant avec les drames historiques comme les histoires fantastiques. Les héros de Ito sont des hommes inébranlables se révoltant contre le pouvoir et mis en échec. Son utilisation de la caméra pour magnifier ses héros solitaires ou vibrer à l'unisson de ces derniers est une des caractéristiques de son style.

En 1928, MAKINO Shozo achève les 47 Ronins. Au montage, une fausse manoeuvre met le feu au film, le détruisant en grande partie. Grand choc suivi du départ d'une bonne partie de ses acteurs. Pour faire face, il élabore des projets pour lesquels il engage des acteurs de second ordre, le scénariste YAMAGAMI Itaro et son fils MAKINO Masahiro comme metteur en scène. MAKINO fils réalise alors une série de drames historiques baignés de fraîcheur et d'esprit de révolte le propulsant cinéaste le plus avant-gardiste du Japon. Citons le premier volet de Quartier des Ronins très apprécié d'un public jeune ou encore Shuzenji Baba.

L'un des genres de jidaigeki les plus en vogue à l'époque est le matabi no mono, film de yakuza errant. Le genre fut établi par HASEGAWA Shin dont l'adaptation en 1929 du drame Kutsukake Tokijiro lança la mode du genre et un modèle repris jusque dans les années 60. Si les yakuzas errants sont présents chez ITO, la différence essentielle se situe dans le traitement des personnages féminins. Chez ITO, les femmes sont présentes mais les yakuzas leur sont indifférents. Mais Kutsukake Tokijiro montre lui un yakuza tenté de raccrocher par amour d'une femme et désarmé face à elle. Il s'agit d'une importation d'un type de héros à l'américaine: l'homme peu recommandable au départ, devenant quelqu'un de bien et se battant contre les méchants suite à sa rencontre avec une femme au coeur pur. HASEGAWA dira d'ailleurs que l'idée de sa pièce IREZUMI Chohan adaptée en 1933 par ITAMI Mansaku lui est venue en voyant les Damnés de l'océan de VON STERNBERG. Outre Kutsukake Tokijiro, La Mère derrière les paupières (1931) est une autre oeuvre emblématique du genre ayant révélé le cinéaste INAGAKI Hiroshi. INAGAKI a aussi adapté avec succès public Yataro Gasa de SHIMOZAWA Kan, romancier incarnant avec HASEGAWA le boom du matabi no mono. Considérés alors comme des films populaire faisant l'apologie des voyous, les matabi no mono apportèrent romance et lyrisme au jidaigeki. Le thème du voyage apparait alors aussi dans le gendaigeki grâce à SHIMIZU Hiroshi et GOSHO Heinosuke. Dans le cinéma japonais, le voyage est alors une occasion de liberté loin des contraintes communautaires et permettant la rencontre homme/femme.

A l'opposé de ITO et MAKINO se situe le jidaigeki selon YAMANAKA Sadao. Passionné de cinéma américain depuis l'école, il est engagé après ses études auc studios Makino par MAKINO Masahiro comme assistant et scénariste. En 1932, il devient réalisateur pour Kanjuro Production avec le matabi no mono Le Sabre de chevet adapté d'HASEGAWA. Son travail trouvera alors des défenseurs dans la revue Kinema Jumpo. A l'opposé d'ITO et de MAKINO fils, YAMANAKA traduit en douceur les sentiments de ses héros solitaires et privilégie l'humour. Intéréssé par les estampes d'ukiyoe, YAMANAKA en reprend la perspective en plongée en accumulant les détails avec raffinement. Toujours adapté d'HASEGAWA, son second film Pluie de Piécettes (1932) est aussi bien accueilli. En 1933, YAMANAKA intègre la Nikkatsu où il est apprécié et réalise notamment la comédie La Vie de Bangaku (1933) qui est néanmoins mutilé par des studios la trouvant trop sérieuse.

Cinéastes critiques

Depuis ONOE Matsunosuke, les jidaigeki glorifient la morale féodale et l'obéissance aux codes des samourais, matière provenant du kodan, forme figée de récit anonyme. Mais ensuite déferlent scénarios originaux et adaptations de romans populaires. Les scénarises KITARO Kyuhei et YAMAGAMI Itaro découverts par MAKINO font souffler dans le genre révolte et nihilisme, un cinéaste comme Ito prenant ensuite le relais. D'où deux jidaigeki: un jidaigeki de rébellion limité historiquement à la période 1923-1931 et un jidaigeki de nationalisme moderne qui dura jusqu'en 1945. Les premiers correspondent à la vogue des keiko eigas ou films à thèse. C'est l'époque où la littérature prolétarienne et le marxisme sont à la mode. D'où toute une série de films gauchistes à laquelle participeront entre autres ITO, UCHIDA KINUGASA ou encore ITAMI Mansaku. Politiquement très engagés, ces keiko eigas seront souvent victimes de la censure. Mais le genre n'a pas assez de succès pour produire de stars et en 1931 la mode change avec des films glorifiant le militarisme. Peu d'auteurs de keiko s'opposeront avec ce retournement synchrone de la montée de l'expansionnisme nippon, ce qui fait douter de leur sincérité. Reste néanmoins que par exemple un Ito aura traité toute sa vie de la rébellion. La vogue du keiko eiga submergera aussi le gendaigeki avec des films tels que La Poupée Vivante (1929) d'UCHIDA ou encore La Symphonie métropolitaine (1929) de MIZOGUCHI sortant dans une version édulcorée. La Ligue du cinéma japonais prolétarien, en abrégé Pro Kino, est très active en 1929 et 1934. Un groupe de jeunes cinéastes du mouvement artistique prolétarien se mobilise pour réaliser et projeter des fictions de gauche dans un contexte de forte pression policière. Les deux grandes figures du mouvement sont les critiques de cinéma SASA Genju (le fondateur du mouvement) et IWASAKI Akira. Les deux réalisent des reportages et des documentaires très militants. En 1930, le mouvement prend une autre ampleur: la soirée du cinéma prolétarien fait salle comble à Tokyo et les spectateurs manifestent à Ginza. Car meme pour cette soirée les films ont dû passer par la censure et les spectateurs être fouillés. En 1929 à Kyoto, des jeunes gens fondent la Doeisha. Ils réalisent le court d'animation Pero le ramoneur, film antiguerre qui n'a pas été censuré sans doute jusqu'à l'incident de Mandchourie. La Doeisha est dissoute en 1937 au moment où le parlant arrive dans l'animation. 

Source: Le Cinéma Japonais par Sato Tadao

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  • December 2005
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