Interview Park Chan-Ok

De passage à Deauville dans le cadre de la présentation de son deuxième film, Paju, la cinéaste coréenne PARK Chan Ok nous a accordé un entretien d'une dizaine de minutes dans lequel elle revient sur un des épisodes de la jeunesse coréenne contestataire, tout en évoquant les différentes thématiques abordées dans son film. On rappelle que Paju (2009) a reçu le Prix du Jury au 12ème Festival du film asiatique de Deauville.

1. Paju est un drame. Vous incorporez beaucoup de thèmes sociaux relatifs à la Corée comme les manifestations étudiantes, les relations nord-sud, les expropriations. Pourquoi cette volonté d’en parler ?

Ces trois éléments montrent avant tout que le personnage masculin, qui était une sorte d’activiste quand il était étudiant, a beaucoup manifesté à cette époque. Les relations intercoréennes sont aussi montrées dans le cadre de son travail actuel. Ces deux éléments là pourraient faire partie de son C.V, alors que le sujet qui le préoccupe actuellement, c’est bien l’histoire de l’expropriation. Cela fait réellement partie du décor du film.

 

2. Le film se déroule dans la ville de Paju, qui est également son titre. Pourquoi cette ville en particulier, entretenez-vous un rapport affectif avec ce lieu ?

Il y a toute une génération en Corée qui a contribué à la démocratisation du pays. A une époque où l’on sortait de la dictature, ce sont surtout les jeunes qui ont participé dans cette lutte, au cours des années 80. Ce sont eux, principalement étudiants, qui ont œuvré pour changer la société. Pour toute une génération, ces gens-là à présent plus âgés sont très importants. Certains d’entre eux sont même allés travaillés dans les usines par sympathie pour les ouvriers. Le héros du film fait donc partie lui aussi de cette génération, et continue de se poser des questions pour savoir ce qu’il peut faire pour améliorer cette société. C’était un peu l’équivalant de mai 68 pour la France.

Quand à la question d’avoir choisi Paju, c’est un peu particulier. Lorsque nous avons déposé le scénario pour bénéficier d’une aide au Festival de Pusan,  nos producteurs m’ont demandé si j’avais un titre. Je leur ai répondu que non, donc nous l’avons appelé Paju. J’avais néanmoins l’intention de le changer par la suite mais ce n’était pas possible. Par contre, d’un point de vue géographique, Paju est un lieu important. C’est un espace important parce qu’il y a des gens qui y vivent mais qui veulent en sortir. Ce qui m’a séduit, c’est son brouillard. Quand je m’y suis rendu, on m’a raconté que du phosphore sortait des cadavres à l’époque de la Guerre de Corée, ce qui provoqua ces grosses nappes de brouillard. Cette idée de tourner à Paju m’a alors séduite. J’ai également pensé au film Fargo des frères Coen, où la neige est omniprésente. Il y a également une similitude dans la prononciation entre Fargo et Paju. Paju avec le brouillard, Fargo avec la neige…

 

3. Nous avions d’ailleurs remarqué que le film débute en plein brouillard et se termine de la même manière. Est-ce une symbolique particulière ?

J’avoue ne pas trop aimer attribuer un sens particulier aux objets, aux symboliques. J’aime bien le brouillard et, encore une fois, je pense à Fargo. C’est vraiment cette idée de village enneigé qui m’a intéressée. Je me suis dit que ce serait bien que les gens puissent associer le nom de Paju au brouillard. Et du brouillard, nous en avions eu beaucoup, il suffit de voir les premières scènes du film. Mon équipe et moi arrivions sur le lieu de tournage, notre GPS indiquait que nous étions tout près, mais nous étions incapables d’avancer à cause du brouillard. Mon chef opérateur et moi avons donc fait le chemin à pied car il nous était impossible d’avancer.

 

4. La structure narrative du film est explosée. Comment vous est venue l’idée d’opter pour une structure narrative pareille créant ainsi des ellipses, pour finalement donner les différents éléments pour boucher les trous au fur et à mesure que l’intrigue progresse ?

L’évènement clé a lieu 7 ans auparavant. Et pendant 5 ans, il ya beaucoup d’histoires qui se passent entre l’héros et l’héroïne. Si j’avais montré cela de manière chronologique, vous auriez déjà eu les réponses à vos questions. Cette forme de narration est donc venue de manière très naturelle. Je n’ai pas conçu la structure narrative comme quelque chose de très particulier. D’un autre côté, il est vrai que le film ressemble à un polar, et dans ce genre de film, on fait souvent un flashback rapide vers l’évènement clé. Ce qui était important pour moi ici, ce n’était pas de faire un polar, mais plutôt d’évoquer les relations entre les différents personnages. J’étais donc obligé de montrer longuement le passé, puis longuement le présent. Cela s’imposait.

 
Ndr : l'entretien ayant pris du retard, nous avons été obligé de l'écourter, la cinéaste et son interprète devant se rendre à rendez-vous au plus vite.

5. Sept ans se sont écoulés entre votre premier film et Paju. Avez-vous un projet en tête ?

C’est vrai que j’ai attendu longtemps avant de faire mon deuxième film. Les gens me l’ont d’ailleurs fait remarquer et continuent encore aujourd’hui, en me disant sur le ton de la rigolade « on va encore attendre 7 ans avant le troisième film ? », comme s’ils pensaient que je ne faisais rien pendant ce temps. Apparemment, le titre de réalisatrice est vraiment devenu mon identité, il faudra donc que je fasse beaucoup d’efforts pour continuer. Cependant, ce qui est le plus difficile aujourd’hui, c’est le fait que le premier film n’a pas marché et Paju non plus. Ce n’était vraiment pas terrible sur le plan commercial. Je conviens donc que le troisième film sera difficile à faire et je n’attendrai pas 7 ans avant de le réaliser !

Entretien réalisé par Xavier Chanoine et Yoann Wons à Deauville le 12 mars 210.
Nos remerciements à Clément Rébillat (attaché) et Eun Jin (interprète).
date
  • mars 2010
crédits
Interviews