Sky Crawlers / Vexille : du pensum au sérum

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Mise en condition avant d'attaquer ce dossier : Vexille se fait servir un p'tit café au volant, Kusanagi s'allume une cigarette.

Vexille

Dans un vingt et unième siècle imaginaire, des scientifiques japonais perfectionnent à ce point la biotechnologie et la robotique qu'ils trouvent un moyen d'allonger la vie. Méfiant, l'ONU se met à surveiller de près leurs activités. Jusqu'à leur demander de stopper leurs recherches. Le gouvernement japonais refuse et, en 2067, quitte l'ONU pour s'isoler complètement du reste du monde.

10 ans plus tard, suite à un incident mettant en cause un androïde, l'unité américaine SWORD, dirigée par son commandant Vexille, s'infiltre au Japon pour découvrir ce qui s'y passe...

The Sky Crawlers

Dans un futur alternatif, après des décennies de guerre, le monde a fini par arriver à une paix durable. Mais les Terriens ont désespérément besoin de retrouver un peu d'action. Pour apaiser ses citoyens, le gouvernement met alors en place un cycle de guerres d'un genre nouveau : celles-ci seront désormais organisées par des sociétés militaires privées, dans le seul but de divertir la population

Symbiose hexagonale

Les deux animés de science-fiction Vexille, qui date déjà de 2007, et The Sky Crawlers, d’un an plus récent, déboulent enfin et simultanément dans nos bacs sans être préalablement passés par la case cinéma. Si l’actualité internationale à l’époque aurait voulu que l’on compare plus volontiers Vexille à Appleseed Saga Ex Machina, deux métrages en mocap/3D pondus par une équipe sensiblement identique (HANDA Haruka, SORI Fumihiko...), chez nous c’est le dernier anime de OSHII Mamoru qui voit sa pub jouxter celle de Vexille sur nos téléviseurs. D’où ce comparatif, a priori en défaveur du mocap du jour, grand maître Oshii oblige. Et pourtant…

Socles d'intentions différents

La première différence, qui n’apparaît d’ailleurs pas si l’on se contente de zieuter les jaquettes ou bien nos publicités dynamiques (kabooom !), concerne la base des deux projets, les intentions de part et d’autre. Sur Vexille, on discerne clairement un concept commercial, un produit calibré. Et sur The Sky Crawlers on sait en quelques secondes à peine la teneur auteurisante du métrage. Mamoru Oshii a été clair tout au long des interviews diluées alors, relayées sur Cinemasie, dans nos dépêches. « Les enfants de maintenant ne savent peut être pas quoi faire de leur futur, qui leur semble éternellement indéfini. C’est peut être la résultante d’un consumérisme moderne, ils sont conscients du fait qu’il n’y a aucun besoin de devenir un adulte. Ne peut on pas dire qu’ils sont destinés à vivre leur vie entière comme des enfants ? ». Ces enfants immortels, ce serait nous, des adulescents encouragés dans notre comportement puéril par la société de consommation, voire même par un management global plus politique. La conscience politique est une composante de la maturité, un comportement qui semble comme puni par une mort immédiate dans ce monde étrange, éthéré, une sorte d’antichambre de la mort où errent hordes de fantômes indécis. Je n'ai pas lu les bouquins d'Hiroshi Mori, à l'origine de cet anime, mais le réalisateur de Patlabor 2 réussit haut la main sa démonstration : son dessin animé est l’un des plus adultes que l’on ait jamais vus, le plus proche de ceux de l’un de ses maîtres à penser, Ingmar Bergmann, donc en effet formidablement chiant, avouons-le, mais bienvenu, qui impose un rythme que l’on ne souhaite pas forcément de prime abord, posé, qui amène (à) la réflexion et n’impose pas l’usuelle ligne droite point A – point B.

Action ! Ou pas...

Le fana d’aviation venu se faire plaisir devant moult batailles aériennes dans The Sky Crawlers sera déçu. Peu lisibles, pas assez longues et sans réels enjeux posés – si les persos se moquent de la mort, qu’en est-il du spectateur ? -, les scènes de bastons nuageuses n’emballeront pas les pilotes en herbe qui leur préféreront, c’est dire, les joutes beaucoup plus gonflées d’un Fly Boys bien ‘ricain. Question bourrinage, Vexille piétine donc allègrement le Oshii, et rien qu’avec sa scène d’intro, un brin too much mais bourrée d’adrénaline, on sait que l’on met les yeux dans un gros défouloir décomplexé du pixel, à kiffer de préférence en HD.

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Gros point fort de part et d'autre : des méchas très travaillés, très agréables pour l'oeil. Des avions futuristes de Vexille à ceux plus uchroniques option "WW II" de The Sky Crawlers (qui n'est pas une uchronie, attention, juste un autre monde), sans oublier les magnifiques combinaisons des forces de la S.W.O.R.D de Vexille.

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De Lamu à Indiana Jones 4

De deux animés vendus dans l’hexagone comme des films d’action, on se retrouve respectivement avec un blockbuster « métal » franchement réussi et un film d’anticipation d’auteur qui l’est tout autant. Dans ce dernier, le cortex y est plus titillé que le sensoriel, et cette description clinique d’anges qui en arrivent à souhaiter la mort parce qu’ils n’ont aucune raison d’être est effrayante parce que pleinement ressentie. On partage ce spleen, cette envie de suicide, douce, lente, inéluctable, qui accompagne tous les protagonistes, un peu comme dans la série Gilgamesh de MURATA Masahiko, un délire post 11/09 made in Japan à l'ambiance assez proche. Après le déjà glauque Innocence on pensait qu’Oshii allait rebondir avec du joyeux, un nouveau Lamu chatoyant, mais non, il s’enfonce encore dans le malsain jusqu’à toucher du doigt la mort. A son contact, enfin, il rebondit doucement, semble se rendre compte que tout ceci est vain. Il est sans doute conscient que son film est un suicide, commercial s’entend, mais s’en tape, car il fallait en passer par cette étape (s’en tape et tape m’en cinq !) pour aller mieux. A la vue de son prochain film, Assault Girls, a priori un gigantesque nanar de SF avec de jolies pépées, Oshii va mieux. Ou bien, dégoûté de ses insuccès, il fuit l'animation pure. Tant mieux pour lui, tant pis pour nous ? Je me cite dans ma vieille dépêche : « En demandant aux jeunes de s’ouvrir au monde, il [Oshii] demande aux autres de faire ce que lui n’a pas fait et, pire – ou mieux -, de faire le contraire de ce que lui-même a glorifié le temps de quelques films. En particulier avec Avalon, l’antithèse de Matrix ». Serait-ce donc cela, la malédiction du réalisateur qui vieillit et se rend compte, dépité, que son art est inutile ? Je dis ceci en pensant aux vieux qui aiment à re-tourner avec leurs potes sans pour autant faire de vrais bons films. L’arme fatale 4, Indiana Jones 4 sont autant de bons exemples.

Après s'être mordu la queue, Mamoru se bouffe la tête

The Sky Crawlers sonne le glas de son idolâtrie du virtuel, d’un monde où l’on ne peut pas réellement mourir, dans lequel il n’y a pas de réelle prise de risque, moteur récurrent de toute vie. C’est en pensant à nos souvenirs que c’en devient évident. On se souvient avec plaisir d’un baiser volé, d’une prouesse physique, d’un coup de volant pertinent, d’une bêtise, d’une bravade de l’interdit. A Oshii d’ajouter « Le bruissement des arbres, l’odeur du vent, la chaleur d’une personne près de vous – tout ceci peut s’avérer futile, mais ce sont les preuves que vous êtes en vie. » On ne se souvient pas des 50.000 bad guys que l’on a zigouillés dans un jeu vidéo quelconque. Ni de ceux que l’on a vu mourir dans un film, car dans The Sky Crawlers, Mamoru Oshii fait également appel au virtuel lié au cinéma avec ses deux personnages principaux aux noms issus de deux de ses oeuvres majeures, Jin-Roh et… Kusanagi ! Il n’y a pas d’équivoque possible. L’adolescent a le même regard perdu que le Fuse de Jin-Roh, et la jeune Kusanagi semble être une énième version distante du Major, un cyborg qui a depuis longtemps fusionné avec le Projet 2501 découvert dans Ghost in The Shell, ce fameux pirate cybernétique issu lui-même du net, du virtuel. On pourrait même penser que le monde de ce film a été créé par ce projet 2501 pour entretenir la vie de Kusanagi, prolonger sa raison d’être, ses envies par delà cet intellect largement renfloué qui ne suffit désormais plus à la belle. En cela, The Sky Crawler est Ghost in The Shell 3, ni plus ni moins, à savoir une conclusion en forme de remise en question de celle du premier film (1995) avec un projet 2501 bien présent dans ce The Sky Crawlers, à travers ce mécanisme géant d’une boite à musique posé là dans une pièce et qui fait sacrément écho à celui de GITS Innocence. Le projet 2501 hante ce film du début jusqu’à la fin. « Le professeur » qu’on ne connaît pas, ennemi surpuissant qui annihile systématiquement les jeunes immortels, n’est qu’un gros avatar du pirate, un monstre impossible à tuer, un niveau de jeu qui se rajouterait à ceux d’Avalon, ennemi d’un duel final aussi bref qu’un duel au sabre dans un vieux chambara japonais. En quelques secondes, l’affaire est réglée. Et, à la fin, ce « professeur » ne triche t’il d'ailleurs pas ? Son ultime manœuvre paraît-elle vraiment possible ? 

Oshii termine son film en deux temps. Une vraie fin arrive avant l’ultime générique. La fausse, celle qui déboule ensuite, est explicative, inutile et insultante pour ceux qui suivent Mamoru Oshii depuis tant de temps. J’ai retenu deux moralités globales de ce fabuleux métrage : l’abus de virtuel pousse au suicide, l’abus de paix pousse au suicide. Ces deux en amène une : est-ce à dire qu’une paix imposée est intrinsèquement virtuelle ? Donc fausse ? Donc néfaste ? C’est une évidence, une véritable démonstration de philosophe – je pense ça de ma fenêtre -, et l’on en arrive ainsi à se retrouver dans un monde où l’on aurait perdu une guerre pour laquelle on ne se serait jamais battu.

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Des extérieurs bidonvillesques de la seconde partie de Vexille aux intérieurs naphtalinés de l'étrange pensionnat de The Sky Crawlers.

Mmhmm, on parle davantage du Oshii que du Sori là, Monsieur...

Ok, ok... Moins prise de chouille, Vexille n’en reste pas pour autant un bête divertissement. Sous couvert de gonfler une trame avec des éléments piochés dans le cinéma de SF récent , Vexille justifie une déshumanisation du japon en invoquant les machines des mythologies de Terminator et Matrix. Mais il le fait visuellement avec brio, inventant un monstre de métal qui, à n’en pas douter, deviendra une icône de toute SF cyberpunk à venir. Dommage toutefois que le personnage principal, la Vexille du titre, ait l’un des visages les plus ratés du métrage. Dommage aussi que ce titre ait été choisi au dépend d’un autre, plus ample. « L’isolation du Japon », sous-titre à l’international, n’est pas des plus pertinents non plus parce qu’il amène trop brutalement la nation toute entière comme enjeu de la chose, ce qui finalement n’est pas tout à fait hors sujet si l’on en vient à comparer ce film-ci au coréen 2009: Lost Memories, également un bon blockbuster de SF (si si) aux malgré tout forts relents nationalistes coréens.

Vexille a déjà trois ans dans la vue, et avec le récent Avatar de James Cameron la mocap de Vexille se prend un rapide coup de vieux. Gageons que dans quelques petites années, en tant qu’anime Vexille sera assimilé au Spriggan de la décennie passée : un blockbuster chiadé avec sa scène d’action dantesque mais condamné, à court terme, à se voir surpasser par d’autres. En attendant ce jour, ça dépote.

Le Oshii vieillira mieux. Une fois assimilé que ses meilleurs scènes ne sont pas explosives mais intimistes et purement intellectuelles, The Sky Crawlers, troisième opus brillant d’une trilogie d’une vie, en devient un film d’anticipation certes casse-bonbons mais fascinant. Notre mémoire en conservera plus facilement quelques bribes que sur l’instantanément jouissif Vexille.

Quelle est donc LA meilleure scène de The Sky Crawlers ?

La meilleure scène ? L’un des plus beaux, l’un des plus charnels, l’un des baisers le plus désespéramment romantiques jamais vu dans un dessin animé. Rien que pour lui… et pour cette note positive globale née d’une fin qui n’a pourtant, sur l’instant, rien d’un happy end. Mais notre Jin-Roh veut enfin quitter sa sphère, sa « brigade des loups », et Kusanagi ne veut plus être éternellement fusionnée au projet 2501. Elle veut s’en libérer, elle souhaite mourir. Etonnant d'ailleurs qu'Oshii n'ait pas appuyé le clin d'oeil en faisant jouer l'habituelle Atsuko Tanaka au doublage. Oshii/Batu a enfin fait son deuil de Kusanagi, de ses personnages qu’il avait laissés sur le carreau. Batu, qui pourrait, lui-aussi, figurer ici en tant que « professeur » - en passant: son doubleur habituel Akio Ôtsuka joue le vilain Saito dans Vexille - peut nous amener à penser qu’Oshii pourrait lui-même tuer son personnage, son fils, à travers ce vilain invisible, une ambivalence toute japonaise qui évoque aussi celle de ce personnage étrange interprété par Takeshi Kitano dans Battle Royale, une figure paternelle qui, bien qu'il - ou parce qu'il ? - les aime, n'hésite pas à tuer ses petits.

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Quelle est donc LA meilleure scène de Vexille ?

Facile, on en a déjà causé, la poursuite de dix bonnes minutes où s'opposent dans le désert des vers géants métalliques à des jeeps maousses du futur est ultra galvanisante. Tout sonne juste sur ce segment, des personnages aux enjeux, de la mise en scène au son et à la musique... une vraie leçon de mise en forme moderne de l'action. Rien que pour elle...

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Mamoru vexé et Vexille énamourée

La raison d'être de Vexille découle, mine de rien, de la longue démonstration d'Oshii. Parions qu’un jour l’homme finira par rencontrer Dieu et ne souhaitera plus qu’une chose : mourir, ce qu'un réalisateur comme Aronofsky a déjà fort bien développé dans ses films Pi et The Fountain. L’épure du tout rejoint celle du rien. A quoi bon continuer, et à quoi bon, surtout, chercher à comprendre ? Alors, conclusion d'une réflexion passionnante mais usante, mieux vaut s’empiffrer du fun avec le rock’n roll Vexille, qui a plus de pertinence en tant que divertissement instantané - ce que rate The Sky Crawlers -, n’a d’autre but que de divertir et ne cherche pas à comprendre ni même à expliquer dans quelle étagère Richard. Ce en quoi un Assault Girls sera foncièrement différent d’un Vexille, ça, on le verra en temps et en heure, et si le souvenir est important, qu’il est entendu que la création d’un DA est encore plus autiste que ne l’est celle d’un live, tourner un film (semi) live en ayant ce Goût des autres cher à Agnès Jaoui (revu sur Arte récemment), en devient plus important que Mamoru Oshii et ses éternels tourments, qui me fascinent toujours autant. Mais lui peut-être un peu moins. Il aura 60 ans l’an prochain.

Vexille est édité en DVD et BR chez We Prod.
The Sky Crawlers est édité en DVD et BR chez Wild Side.
Merci à eux deux d'avoir eu l'amabilité d'envoyer ces DVD à la rédaction.
date
  • février 2010
crédits
Films