Interview Yang Ik-june

Interview de Yang Ik-june effectuée le 16 décembre 2008 à Séoul, à l'occasion de la présentation de son film Breathless au Festival du Film Indépendant de Seoul. D'apparence très décontractée, Yang Ik-june contraste totalement avec le personnage énervé et agressif de son film. Il fait un froid à faire geler le soju, le réalisateur arrive à l'interview emmitouflé dans une grosse doudoune orange, et après s'être installé, n'éprouve aucun problème à exprimer ses sentiments à l'égard des personnages décrits dans son film.


On dit que Breathless est un film autobiographique. Qu'est-ce qui vous a poussé à raconter une partie de votre vie sous forme de film ?


Un critique a raconté que c'était un peu autobiographique. Pourtant, ce n'est pas le cas même si j'ai intégré des éléments de ma propre vie. Il y a beaucoup de familles qui vivent dans le même environnement que celui du film. Chez les coréens entre 30 et 40 ans ans, beaucoup sont des parents qui ont vécu la guerre de Corée qui deviennent violents à leur tour. C'est pourquoi il y a beaucoup de violence dans le cercle familial, surtout chez les pauvres.

Nos grands parents et nos parents ont vécu beaucoup de guerres (2ème Guerre Mondiale et guerre de Corée). Ils sont conservateurs, alors que nous autres les jeunes, avec l'influence internationale, sommes en train de changer. Comme ils sont conservateurs, ils pensent qu'ils sont responsables de tous les membres de la famille. A cause de cela, la violence est un fléau qui attaque la famille, et je voulais montrer cette violence chez le père, qui est un homme stressé à cause de ses responsabilités. En réalisant ce film, j'ai l'impression que nous changeons encore plus.


Vous parlez donc du choc de la culture traditionnelle et des cultures importées, qui perturbe la cellule familiale ?


Il y a un peu d'influence des cultures étrangères, mais le changement arrive avec le temps. Les parents sont responsables de tous les membres de la famille. Ceux qui ont 30 ans ont gardé la culture de leurs parents. Ils veulent un changement, mais en vérité ce n'est pas facile, et je ne pense pas que ce soit à cause d'autres pays. A cause de la guerre, nous n'avons pas eu le temps de penser à la culture familiale. Même si j'ai 30 ans, mes parents pensent qu'ils sont toujours responsables de moi. Il n'y a pas encore d'indépendance dans la famille.

On demande toujours aux familles de vivre proche. Mais comme les parents sont trop conservateurs, il faut être très respectueux, et si on veut faire quelque chose, à cause des parents ce n'est pas possible. Il faut faire ce qu'ils veulent qu'on fasse. On est en train de changer, de réfléchir, et au moment où on a commencé à changé, on a reçu l'influence d'autres cultures.

Je ne sais rien sur la société, la politique, l'économie. Ma seule préoccupation, c'est la famille. A mon âge, c'est encore le seul point qui m'intéresse. Même si je vis seul, mes parents m'appellent tout le temps pour me demander si j'ai mangé, si j'ai de l'argent... Pour mes parents je suis toujours leur enfant, mais je veux qu'ils soient plus indépendants, qu'ils prennent plutôt soin d'eux et fassent quelque chose de plus intéressant. Je pense que la culture familiale doit changer.


Dans la présentation du film, vous parlez d'un remède. Quel est ce remède ?


Il faut faire des efforts pour créer une autre relation avec les parents. Si les parents font des erreurs, ils faut qu'ils disent qu'ils sont désolés. Même si c'est un peu stressant et fatigant, il faut faire des efforts.


Est-ce important pour vous, d'avoir le rôle principal ?


Avant, je n'étais pas réalisateur, seulement acteur. On m'a demandé il y a sept ans : "Qu'est-ce qu'il faut pour jouer comme un acteur ?" J'ai répondit "Il faut de la haine". Comme j'avais beaucoup de stress à cause de la famille, je détestais tout ces problèmes familiaux. J'avais la haine. Mais dans le jeu, je ne pouvais être plus relaxé à cause du stress. Je n'avais pas la force de réaliser, de faire un synopsis. Maintenant je suis devenu réalisateur, mais je n'avais pas pensé être acteur. J'avais même des problèmes au montage, je n'arrivais pas à savoir si je jouais bien ou pas. En jouant ce rôle, j'étais un peu libéré du stress de la réalisation.


Il y a beaucoup de violence graphique et verbale dans Breathless. Etait-ce vraiment nécessaire de montrer toute cette haine ?


Je pense que les insultes, ce n'en sont pas pour les personnages. C'est du langage. Ils n'ont pas appris à parler comme les autres. Et dire des insultes, c'est comme exprimer des sentiments. Lorsque j'écrivais un scénario, j'ai vu des vieux s'engueuler, mais ils ne disaient que des injures. Je me suis senti triste, car ils parlaient de sentiments, mais quand on les écoute, ce ne sont que des insultes, alors que pour eux c'est un langage. Le père ne dit jamais "je t'aime" à ses enfants en Corée. Ils savent qu'ils s'aiment mais ils ne le disent jamais ; les insultes, c'est une autre méthode de conversation.


Il y a deux scènes plus calmes dans le film, des scènes d'ambiance. Comment les avez-vous inséré dans le scénario ?


Je n'ai pas étudié le cinéma, donc je ne sais pas trop comment expliquer. Dans mon coeur, j'ai senti qu'il ne fallait pas de bruit à ce moment. Quand j'étais acteur, il fallait comprendre avec le coeur mais pas avec la tête. Comme Sang-hoon, qui ne sait pas exprimer ses sentiments, je n'arrive pas à expliquer les miens avec des mots.

Après reflexion, j'ai fait ça pour mettre une distance entre les personnages. Quand Sang-hoon meurt, il y a d'autres personnes qui sont joyeuses, et en même temps tristes. Je voulais montrer les deux sentiments.

Quand il n'y a pas de bruit, c'est plus terrifiant. Il y a un moment, les parents de Sang-Hoon sont en train de se battre. Juste avant que Sanghoon ouvre la porte, il n'y a pas de bruit. Les humains sont terrifiants juste avant de commettre un crime, donc quand il n'y a pas de bruit, c'est encore plus terrifiant.


Tout le film est tourné caméra sur épaule. Est-ce une façon de se rapprocher des personnages ?


Oui, totalement. J'ai pris une caméra plus petite pour ça. Je voulais aussi faire des gros plans sur les visages (ndr: avec ses mains, il montre globalement ce qu'il essayait de faire). Mais il y avait une différence d'expression des sentiments chez les acteurs, et à cause de ça, je ne pouvais pas faire certains gros plans. Mais j'ai fait beaucoup d'efforts pour effacer les différences.

La caméra est comme moi. La haine, la violence. Je voulais la montrer comme si c'était votre voisin, votre ami. Même si les gens ne veulent pas regarder la violence, je l'ai montrée ainsi pour les forcer à regarder. Je veux sentir ces gens proches de moi. C'est une façon de montrer leurs sentiments.


Comment l'actrice Kim Kot-bi a été choisie pour le film ?


Je l'avais trouvée bien dans The Ghost Theater. Mais avant ça, j'avais vu Iseul Hu(1), et j'ai vraiment pensé que c'était une grande actrice. Iseul Hu a servi à montrer son énergie et ses compétences. J'ai toujours voulu choisir Kim Kot-Bi pour tourner un film mais là, j'avais écrit le scénario en pensant à une autre actrice. Mais celle-ci ne pouvait pas jouer ; comme je voulais engager Kim Kot-Bi pour jouer dans un film sur le passé de Yeon-hee, elle a finalement tout fait. Le seul problème, c'est qu'elle n'est pas douée pour dire les insultes. Je voulais une Yeon-hee très forte, et je pense qu'elle a fait beaucoup d'efforts pour dire des insultes, elle a remonté son niveau, et maintenant je veux faire un nouveau film avec elle.


Merci à Kimmy pour la traduction

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Notes :
(1) Court métrage de Eom Sang-mi (2006)
date
  • décembre 2009
crédits
  • interprète
  • Kimmy
  • interviewer
  • Elise
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