Interview Wang Chao : Memory of Love

Pour son passage à Paris aux premiers beaux jours de l'été, Wang Chao est venu présenter son dernier film, Memory of Love. Habitué de la France, le cinéaste s'est entretenu une grosse demi-heure pour revenir sur les fondements même du film. Il évoque la force de l'amour de ses personnages, son intérêt de proposer autre chose qu'une simple histoire sur la trahison et revient également sur la postproduction du film, réalisée en Occident. Un entretien reflètant bien la personnalité du réalisateur, mais également l'ouverture d'esprit dont il fait preuve. 

Introduction

Vous avez fait une pause après Voiture de luxe. Doutiez-vous de quelque chose, de vous-même ?

C’est vrai que dans mes trois précédents films, j’ai surtout raconté l’histoire d’autres personnes, parlé des problèmes des autres, et finalement ma réalité à moi ? Est-ce que j’ai une vie heureuse ? Est-ce que j’ai des problèmes ? Et finalement pour ce film, j’ai fait un retour sur moi-même, une introspection en quelque sorte. Est-ce que j’avais moi-même dans ma vie des souffrances ? Par ce film j’ai trouvé un moyen de résoudre ces problèmes, de dépasser la réalité de mon intériorité.

Retrouve-t-on un peu de vous dans Memory of Love ?

Il faut que je reste honnête avec vous, il y a une partie de moi dans le film, c’est certain. Car comme tout le monde j’ai été au moins une fois trahi. En revanche ce n’est pas mon histoire. Pourquoi ? Parce que je n’ai jamais été marié (rires).

Memory of Love a été coproduit par la France, avez-vous eu des soucis pour trouver du financement en Chine ?

Je pense que je suis assez chanceux finalement pour les financements, je n’ai pas trop de problèmes. Ce film est moitié français, moitié chinois. Pour la France, il y a le Fonds Sud Cinéma qui participe. Je suis chanceux car dans la foulée je peux faire des films d’art et d’essai que je souhaite faire.

 

Reconstruction, souvenir, language cinématographique


L’idée de reconstruire une vie est très intéressante, mais on y sent un malaise très profond notamment dans l’attitude très froide de Li Xun. Pourquoi ce malaise alors que l’on tente de reconstruire quelque chose ?

J’ai voulu que l’attitude de Li Xun soit ainsi. En Chine, beaucoup pensent que c’est seulement lorsque le cœur est apaisé que l’on s’arrête et que l’on peut voir. Il y a une formule aussi qui dit que c’est en reculant que l’on a une vision plus large. Dans la plupart des films sur l’amour et la trahison, lorsque l’homme est trahi, il a des réactions violentes et fait preuve de jalousie. Là ce n’est pas du tout ce que je voulais faire, car en général ce genre de personnage n’arrive pas à résoudre les problèmes. Je ne voulais donc pas faire l’étalage de la souffrance, car finalement on la connait tous. Le but du film est surtout de trouver par quels moyens faire face à cette souffrance et surtout comme la dépasser. Au départ je n’avais pas la réponse, je voulais savoir avant comment faire face à cette situation. Le meilleur moyen est donc de se poser, s’arrêter, prendre du recul pour observer, et sans doute qu’avec ce recul on aura une nouvelle sensation et sans doute que de là va surgir la sagesse.

 

Du point de vue de la mise en scène, Li Xun et Si Zhu ne sont pas dans le même cadre lors des premiers instants du film. Créer cette distance due à la trahison était voulu ?

Merci d’avoir soulevé ce point. C’est vrai qu’ils sont ensemble lors de la première scène des fiançailles, et à partir du moment où Si Zhu va dans la salle de bain pour appeler son amant, on sent bien qu’il y a une séparation entre les deux. On ne les voit plus ensemble jusque dans la scène en voiture après le lac, lieu pour y symboliser leur reconstruction, et là ils sont de nouveau dans le même plan.

 

Dans Voiture de luxe, la voiture est une actrice à part entière. Dans Memory of Love, les objets semblent avoir beaucoup d’importance, comme la robe, la voiture une nouvelle fois, le mouchoir ou encore les bracelets. Il y a-t-il une signification dans le pouvoir de ces objets ?

Il est vrai que dans Voiture de luxe, la voiture est un personnage à part entière. Je pense que Memory of Love est le film qui utilise le plus le langage cinématographique. Les objets et les détails sont porteurs de sens cinématographique. Par exemple avec le mouchoir, on voit une scène où son ami Li Xun l’a oublié alors que c’est un mouchoir que sa femme lui a offert et qui devrait être le symbole de leur amour, mais il a oublié ce genre de choses, ils se sont un peu éloignés. Et puis, au moment de la reconstruction de leur amour, au moment où on les voit marcher dans la montagne, il s’en rappelle et sort un mouchoir pour s’essuyer, un objet que symbolise la mémoire de leur amour.

Un autre objet très important, on le voit lors de la cérémonie du thé. Cet objet c’est le bracelet. Mais c’est marrant parce qu’il y a beaucoup de dramaturgie dans cette scène, mais tout ceci sans paroles. Tout est par le langage cinématographique. On voit que les deux personnages (Chen Mo et Li Xun) ont tous les deux le bracelet qui a été offert par la même femme, et ils sont un peu dans un duel d’arts martiaux, toujours sans paroles, et quelque part avec le bracelet, tous deux ont un droit sur cette femme. C’est une allusion qui passe uniquement par le langage cinématographique. Et c’est là où l’on voit la différence avec mes films précédents où j’avais peu d’espace pour ce genre de détails. Ici j’ai eu une véritable marge de manœuvre pour laisser exprimer le cinéma et le langage cinématographique.

 

Le mari de Si Zhu lui dit à un moment « tu dois te souvenir, mais moi je peux oublier ». Fait-il cela par faiblesse, par force, ou même par amour ?

Au contraire de la faiblesse, je pense plutôt que c’est une force incroyable, c’est véritablement la force intérieure de Li Xun, c’est son calme ; elle l’a trahi, il l’aime toujours. La trahison et l’amour n’ont rien à voir, ce n’est pas parce que l’on est trahi que l’amour s’arrête d’un coup. En général s’il y a une séparation après une trahison, c’est parce que la réalité est tellement affreuse qu’on ne la supporte plus, donc on se sépare même si l’amour est encore là. Donc lui, son raisonnement est puisqu’il l’aime vraiment, il peut oublier, et ELLE doit se souvenir, parce qu’elle doit retrouver sa santé, son état mental. C’est une action très difficile que celle réalisée par Li Xun, et c’est peut-être comme cela qu’il pourra récupérer sa femme puisque dans une scène de trahison classique, le garçon peut devenir violent et finalement la femme va le supplier, ou lui va la supplier. Donc là on n’est pas dans un schéma habituel, au contraire, lui il se détache et c’est peut être cela qui attire Si Zhu. Elle est peut être très émue par cette attitude. Donc ce n’est clairement pas une faiblesse, au contraire, c’est de la force mais également de la sagesse qui proviennent tous deux de l’amour de Li Xun.

 

Cette force et cette sagesse, c’est peut être un avis personnel, mais j’ai vu ce film comme étant optimiste finalement, et cela confirme vos propos. Etes-vous d’accord avec cet optimisme ? Ou pensez-vous qu’il y a un peu d’amertume comme pour éviter les facilités du happy end ?

C’est vrai que souvent, ce sont des fins avec du désespoir et du pessimisme. C’est trop facile. Déjà, est-ce qu’il y a 1% d’espoir ? S’il y en a, je pense qu’il faut le montrer et le filmer. La plupart des gens aujourd’hui ont peur de l’espoir et de la confiance. Dans la vie, je suis plutôt quelqu’un d’optimiste. Je suis content d’en parler car cela m’a rappelé une phrase que j’aime beaucoup : « le désespoir c’est facile, l’espoir l’est beaucoup moins ».

 

Pour donner vie au personnage tourmenté de Si Zhu, on trouve Yan Bingyan, excellente dans son rôle. Une partie du public français l’a découvert notamment avec Teeth of Love en 2007 au 8ème festival du film asiatique de Deauville, et tout récemment avec Portrait de femmes chinoises. Était-ce un choix évident pour vous ?

Au départ je ne l’ai pas choisi. Il y avait au début 3-4 personnes pour le casting mais ça ne s’est pas fait. Finalement c’est le destin qui l’a mis sur ma route. Je l’ai donc choisi par rapport à ses photos et aux entretiens que j’ai pu avoir. C’est une femme très simple, très épurée et même si elle n’est pas mariée, elle a quand même une vie sentimentale. Comme c’est une très bonne actrice, je savais qu’elle était capable d’exprimer ce que je voulais dire. Dans mon film il y a très peu de dialogues, ce n’est pas un film où il y a de l’action dramatique. C’est un film où elle devait être capable de s’exprimer avec son corps. Elle en était capable parce qu’elle a un passé de danseuse, elle maîtrise très bien son corps. Et même si elle n’a pas eu de formation de théâtre, elle a une façon de jouer très épurée.

Une coproduction franco-chinoise


Depuis Voiture de luxe, vous tournez avec une caméra numérique. Allez-vous continuer à procéder ainsi au cours de vos prochains films, ou bien cela dépendra t-il du sujet ?

Vu que nous sommes à l’ère du numérique, je pense continuer dans cette voie là. Pour Voiture de luxe, j’avais utilisé une Panasonic 3000®, j’aime bien la clarté des images que l’on obtient. Je voudrais également préciser que la postproduction est faite en occident, sa valeur ajoutée est donc très importante.

 

Quelle est la valeur ajoutée de travailler avec des techniciens européens ? Je pense notamment à Florence Bresson qui s’est occupée du montage.

Etant une coproduction franco-chinoise, il est normal de faire appel à des techniciens européens. C’était très intéressant et cela s’est bien passé. Et pour vous dire la vérité, les techniciens français ou européens sont quand même en avance sur le plan technique, au niveau des idées notamment. Notre étalonneur vient d’ailleurs de Hongrie. Et dans le contrat avec Fonds Sud Cinéma, la postproduction devait être faite en Europe.

Entretenez-vous un rapport particulier avec la France ?

Oui, j’ai une histoire avec la France puisque tous mes films y ont été projetés. Cela a commencé avec L'Orphelin d'Anyang à Cannes, où j’ai rencontré Sylvain Bursztejn qui a ensuite travaillé sur mes trois films suivants. J’ai également coopéré deux fois avec Arte et trois fois avec Fonds Sud Cinéma, et je pense que le cinéma chinois indépendant ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans le soutien de la France. Je profite aussi de cette occasion pour remercier votre pays.

Passé et futur


Vous avez intégré l’Académie du cinéma de Pékin au début des années 90. Quels sont les moments qui vous ont le plus marqué et poussé à devenir ce que vous êtes aujourd’hui ?

A l’époque il n’y avait pas de dvd. Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu intégrer l’Académie du cinéma de Pékin c’était justement pour pouvoir visionner des films occidentaux. Cela fait parti des faits marquants de mes études, cette chance d’avoir pu voir une quantité incroyable de films occidentaux et dont certains m’ont énormément marqué.

Pour terminer, avez-vous un projet en tête ?

En fait, je voudrais retourner aux sources de mon cinéma, retrouver l’état d’esprit dans lequel j’étais lors de mon premier film (ndlr : L'Orphelin d'Anyang). Pourquoi ? Parce que depuis 10 ans, les problèmes n’ont toujours pas disparu, je pourrais même dire qu’ils se sont multipliés. Ce retour me permettrait de décrire cette réalité chinoise défavorisée.


Entretien réalisé par Xavier Chanoine. Chaleureux remerciements à Yukie de Bossa Nova et Isabelle Sablon, interprète.

 

date
  • août 2009
crédits
Interviews