Interview Song Il-Gon

Auteur du remarqué The Magicians, présenté cette année au 3ème Festival franco-coréen du film à l'Action Christine à Paris, le réalisateur Song Il-Gon a fait le déplacement jusqu'à Paris pour présenter son dernier long-métrage. Huit-clos jouant avec le temps et l'espace, le film raconte à travers un seul plan-séquence l'histoire d'une bande de musiciens quelque peu égarés depuis la disparition de l'un d'entre eux. Retranchés dans un châlet en pleine montagne, ils évoquent le souvenir, le moment présent mais aussi l'avenir en compagnie d'un étrange moine fan de snowboard. Song Il-Gon nous en dit alors un peu plus sur les conditions de tournage...


Pouvez-vous vous présenter en quelques mots au public français ?

Je suis Song Il-Gon et je suis cinéaste. J’ai fait beaucoup de courts-métrages dans le domaine du cinéma. J’ai réalisé jusque là 4 longs métrages, Flower Island, Spider Forest, Feathers in the Wind et enfin The Magicians.

A propos de The Magicians, d’où vous est venue l’idée de réaliser un long-métrage sans aucune coupure ?

En 2005 s’est tenu le Festival International du Film de Jeonju en Corée et j’ai participé au projet « Trois couleurs et trois réalisateurs » où nous devions tourner un film avec une caméra digitale. Le projet s’appelait officiellement « Digital Project ». Je pensais que filmer longuement, sans coupure, était le point fort de ce projet.

Filmer sans coupure relevait-il d’un véritable challenge ou plutôt d’un concept à part entière dans le cinéma coréen ?

Cette idée de filmer sans coupure m’est venue à l’esprit en pensant à Rope d’Alfred Hitchcock. A l’époque, les techniques de filmage n’étaient pas très développées et il était impossible de filmer d’une traite, pas plus de dix minutes. Avec la technique du digital, il est à présent possible de tourner plus longtemps. Donc j’ai pensé qu’il serait intéressant de filmer des choses présentes, passées ou futures ensemble, sans coupure. Mais au départ je pensais filmer pendant 40 minutes non-stop avant d’y réfléchir davantage durant mon voyage en Australie. Pourquoi ne pas ajouter un peu autre chose ? Lorsque j’ai pensé à ce projet de tourner pendant 40 minutes, j’ai fait pas mal de répétitions avec les acteurs, le résultat était très encourageant. Alors je me suis dit qu’il était possible d’ajouter d’autres éléments du passé ou du futur pour améliorer l’histoire.

Pour conclure sur l’aspect purement technique, quelles ont été les principales difficultés de tournage, plutôt contraignantes car interdisant la moindre coupure ?

Normalement dans un film, on coupe pour gagner du temps afin de bouger les caméras. Mais pas ici. Pour moi c’est du temps mort. Donc comment remplir ces moments où il ne se passe rien ? Comme je voulais que le spectateur ne s’ennuie pas, j’ai donné une vraie importance au temps. Comme vous pouvez le voir il y a une forêt, où se déroule le passé, le présent et même le futur. Grâce à cet endroit le spectateur peut voir que l’on passe au passé, puis au présent, puis au futur etc. Il y a beaucoup d’épisodes évidemment. L’autre difficulté était que les acteurs ne devaient pas se présenter devant la caméra qui balayait parfois à 360° comme dans un vrai spectacle. Durant le tournage il faisait très froid, ils se mettaient donc au chaud dans des petits espaces de telle sorte à ce que la caméra ne puisse pas les filmer. A l’aide de moniteurs sans fil nous pouvions voir les mouvements des acteurs. Le matériel spécial comme la steady cam pèse plus de 30 kilos et notre chef opérateur devait durant certaines scènes la fixer sur une grue tout en la transportant durant 92 minutes. Les conditions de tournage étaient délicates pour lui, il souffrait de la hanche et ne pouvait même pas se moucher malgré le froid. Il m’en a d’ailleurs voulu à la fin du tournage car moi, je restais tranquillement au chaud derrière le moniteur avec ma Guinness ! (ndlr : les acteurs boivent et parlent de cette bière durant le film)

Quel était le sentiment des acteurs à l’idée de tourner dans un métrage filmé en un seul plan-séquence ?

Les acteurs du film sont en fait des amis. Ce projet était comme un challenge et je devais presque les séduire pour qu’ils acceptent de tourner. Mais le fait de tourner sans coupe n’était pas d’une grande difficulté pour eux puisqu’ils ont tous des bases en théâtre et sont habitués à gérer par exemple leur souffle et de jouer longtemps sur scène. Je pense qu’ils étaient ceux qu’il me fallait pour donner vie à ce projet. Je les ai aussi séduits en leur disant que le tournage ne durerait qu’en tout et pour tout 90 minutes. On tourne pendant ce temps et ensuite tout est fini.

Au vu des difficultés, il y a-t-il eu justement une part d’improvisation durant le tournage ?

Il n’y a pas eu de réelles improvisations. Car vu que c’est un film sans coupure on doit bien calculer le temps, les mouvements. Mais avant de tourner nous avons effectué des répétitions, les acteurs pouvaient alors me poser des questions sur une gestuelle à adopter ou même me faire des demandes. Une des techniques de tournage, durant les répétitions, était de couper dix minutes après chaque scène afin de calculer les mouvements des acteurs et de faire attention à la partie sonore, effectivement tous les sons étaient enregistrés en direct. Les répétitions ont duré environ 3 semaines.

Durant l’écriture de The Magicians, vous êtes-vous inspiré de faits personnels ? Effectivement on voit que les personnages souffrent de l’absence notamment de la guitariste, que l’un des personnages a du mal à oublier sa rupture avec la chanteuse. Tout n’est que fiction?

C’est une fiction, mais il y a les traces de mon expérience personnelle à la base de cette histoire. Un de mes amis cinéastes s’est suicidé pour des raisons qui le regardent, et la question du suicide dans The Magicians est en quelque sorte pour ne pas l’oublier.

Est-ce que votre œuvre a été influencée par tel ou tel artiste, cinéaste ?

Avant d’étudier en Pologne, j’étais en école de cinéma en Corée où nous étudions beaucoup de grands réalisateurs pour brasser les genres et les styles. En tant que cinéaste j’admire de nombreux réalisateurs comme Fellini, Kurosawa ou Kieslowski sans pour autant m’en inspirer. Mon style n’est pas fixe, il peut changer.

Avez-vous d’autres projets en tête pour l’avenir ?

Je voulais faire à nouveau un film sans coupes, mais personne ne veut y participer (rires) ! Je pense que ce sera impossible ! Plus sérieusement, je suis actuellement entrain de réaliser un film avec un budget bien plus grand que celui alloué pour The Magicians, un film bien plus commercial. Il prend lieu et place le 26 octobre 1979 en Corée du Sud lors d’un acte révolutionnaire impliquant la mort de l’ancien président Park Chung-Hee. Un Coup d’état pendant deux mois. Le film sera une fiction sans être un drama comme on en l’habitude de voir, inspirée de ces faits réels.

Propos recueillis par Xavier Chanoine lors du 3ème Festival franco-coréen du film à Paris.
Photos : Gilles Collot
Mes remerciements chaleureux à Bae Yong-Jae (directeur du festival) et Choi Youn-Ah (interprète).
date
  • janvier 2009
crédits
Interviews