Interview Bong Joon-ho

Dans le cadre de la rétrospective de l’œuvre de Kim Ki-young à la Cinémathèque Française, Aurélien et Gilles ont pu s’entretenir avec Bong Joon-ho ; l’occasion d'évoquer la société coréenne des années 70, de revenir sur les travaux de Kim Ki-young et de discuter de son héritage dans le cinéma coréen d'aujourd'hui.

Entretien avec Bong Joon-ho

Aurélien - Tout d'abord, pouvez-vous revenir sur l'époque où vous avez découvert le cinéma de Kim Ki-young, et nous préciser comment vous avez appréhendé son œuvre ?

En Corée, le situation était très différente : nous n'avions pas de cinémathèque comme ici. J'envie beaucoup les français... C'est seulement à partir du milieu des années 90 que les premières cinémathèques sont apparues en Corée. J'ai découvert les films de Kim Ki-young avant le début des années 90. Lorsque j'étais à l'université, je fréquentais un quartier où il y avait un grand nombre de magasins de cassettes vidéo d'occasion. Je fouillais tout le temps parmi les cassettes, et c'est comme ça que j'ai découvert un film de Kim Ki-young : la Femme de Feu. Au passage, l'image qui se trouvait sur le boîtier de la cassette n'était pas l'affiche du film de Kim Ki-young mais une image érotique. (Rires.) En tout cas, après avoir découvert ce film, je me suis mis à chercher un peu partout les autres films de Kim Ki-young.

Gilles - A cette époque, dans les années 90, Kim Ki-young était vu comme un réalisateur de séries B. Quel était votre avis sur ses travaux lorsque vous l'avez découvert ?

Pendant longtemps, le cinéma de Kim Ki-young a été oublié par le public. Mais, depuis la rétrospective de son oeuvre au festival de Pusan et le passage de certains de ses films sur une chaîne du satellite, on a commencé à redécouvrir son cinéma, et ses longs métrages ont alors été considérés comme des films cultes. Le côté assez grotesque du cinéma de Kim Ki-young a beaucoup attiré les jeunes spectateurs de cette époque. Malgré cela, l'éventail de ce qu'a fait Kim Ki-young est très large et va du film magnifiquement réalisé au film de série B. Parmi les films de Kim Ki-young, Papillon Meurtrier est peut-être le film qui peut sembler le plus grotesque, qui tend le plus vers la série B. C'est un film que je vous recommande d'ailleurs d'aller voir. (Rires.)

Aurélien - En 1980, Ban Gum-yon est censuré. Pouvez-vous revenir sur cette période, sur la censure, et sur la société coréenne de manière plus globale ?

Bien sûr, Ban Gum-yon n'est pas le seul film a avoir souffert de la censure, c'était quelque chose d'extrêmement fréquent à cette époque. Mais il est vrai que le cinéma de Kim Ki-youg a été très touché. Il y a eu beaucoup de problèmes car Kim Ki-young décrivait souvent le désir oppressé des gens de cette époque, un désir souvent sexuel. Ses films étaient donc visés directement par la censure. A cette époque, la censure n'avait pas lieu une fois le film terminé, mais avant même le début du tournage, lors de l'écriture du scénario. Certaines scènes ont donc été coupées, et c'est seulement après que l'on pouvait commencer à tourner. Par ailleurs, à cette époque, les cinéastes étaient obligés de faire des films de commande. Il s'agissait souvent de films de propagande, pour le gouvernement. Kim Ki-young a lui aussi été obligé de faire ce genre de films. Malgré cette ambiance particulière, dans les années 70, Kim Ki-young a pu faire des films subversifs, ce qui m'étonne toujours.

Gilles - Kim Ki-young affirmait qu'il était le plus grand des réalisateurs indépendants coréens. Voyez-vous aujourd'hui un réalisateur qui pourrait se vanter d'avoir le même statut ?

Peut-être, mais je ne peux pas donner de nom. (Rires.) Kim Ki-young finançait lui-même ses films, c'était bien un cinéaste indépendant. Mais c'est un cinéaste qui est parvenu à rencontrer le succès à son époque, et dont les films avaient leur propre couleur. Ainsi, il peut sembler très difficile trouver quelqu'un comme ça dans le cinéma coréen actuel.

Aurélien - Certains voient en Kim Ki-duk un héritier de Kim Ki-young. Kim Ki-duk disait lui-même "seul Kim Ki-young aurait pu faire un film comme l'Ile". Quels sont pour vous les héritiers de Kim Ki-young ? Et quel est l'héritage de Kim Ki-young dans le cinéma coréen ?

Kim Ki-young, contrairement aux autres cinéastes de cette époque, très littéraires, n'avait pas cette écriture.  C'est peut-être cela qui a beaucoup influencé les cinéastes coréens. Dans son film, il y a donc un aspect très cinématographique, très original. Kim Ki-duk n'est pas un cinéaste que l'on peut qualifier de cinéphile, contrairement à Park Chan-wook ou Kim Jee-woon. Kim Ki-duk est plutôt un cinéaste qui fait ses films à partir de ses propres expériences.

Aurélien - On peut également penser à Im Sang-soo, avec Une Femme Coréenne, film où la femme est un pilier et où les liens familiaux volent en éclats. Quel est votre avis sur son travail, et qui verriez-vous d'autre comme héritier ?

Il y a de très forts points communs entre les deux cinéastes. En effet, Im Sang-soo aborde souvent le sujet du désir féminin oppressé et les problèmes dans le cercle familial, tout comme Kim Ki-young. Il y a vraiment un point commun entre les deux. Malgré tout, je pense que le cinéma de Im Sang-soo n'atteint pas encore le niveau de celui de Kim Ki-young. (Rires.)

Aurélien - Quelle influence les travaux de Kim Ki-young ont-il eu sur vous ?

On trouve toujours, dans le cinéma de Kim Ki-young, un aspect assez incongru : une sorte d'irruption du suspense, de la tension, dans le film. Et, après avoir réalisé mon dernier film, je trouve qu'il y a également un côté comme cela.

Aurélien - Pendant cette période où la censure était si forte, qu'est-ce qui vous a marqué dans la société coréenne ?

A cette époque, j'étais adolescent, puis je suis entré à la fac. C'était une période où j'étais très sensible à l'oppression sociale. Du coup, la censure m'a fait voir le second visage de la société coréenne, où l'on oppressait la liberté d'expression. Quand j'ai commencé à travailler, la censure avait disparu en Corée. Je n'ai donc jamais eu la moindre pression des producteurs ou de l'Etat. Et cela me donne énormément de plaisir de faire un film selon mes désirs.

Gilles - Entre 1985 et 1995, Kim Ki-young n'a pas tourné. Qu'est-ce qui lui a donné l'envie de refaire un film ?

En fait, son dernier film a été réalisé en 1988. Mais ses films sortaient bien plus tard, en raison de divers problèmes. Après la rétrospective de Pusan, en 1997, il voulait revenir au cinéma, mais est mort dans un incendie. Le film qu'il avait commencé s'appelait La Femme Diabolique.

Aurélien - Kim Ki-young mélangeait habilement la satire, l'épouvante, parfois la comédie et le mélodrame. Ne peut-on pas faire un rapprochement entre ce mélange des genres et celui que l'on peut retrouver dans le cinéma de Park Chan-wook ou même le vôtre ?

En fait, les cinéastes coréens s'intéressaient plutôt au réalisme social, et Kim Ki-young tendait plus au film de genre. Peut-être est-ce ce côté là qui touche plus Park Chan-wook et moi-même. Sans contrainte sur le réalisme, j'ai vu dans le cinéma de Kim Ki-young une sorte de liberté de l'imagination, qui part dans tous les sens.

Aurélien - Lors de notre dernière rencontre, vous m’avez confié avoir un projet avec une actrice coréenne légendaire. Sur le moment, je m'étais demandé s'il ne s'agissait pas justement de Lee Hwa-si. Pour en avoir parlé tout à l'heure avec elle, elle m'a confié qu'elle serait ravie de revenir au cinéma. Seriez-vous donc prêt à lui confier un rôle ?

Il ne s'agit pas d'elle, mais plutôt de quelqu'un d'autre. Mais j'aimerais également travailler avec elle.

Aurélien - Mais, alors, qui est donc cette actrice légendaire ?

(Rires.) C'est un secret...

Aurélien - Merci beaucoup.

(En français.) Merci.

Propos recueillis par Aurélien Dirler et Gilles C. le 30 novembre 2006 à Paris.
Chaleureux remerciements à Elodie Dufour et Bong Joon-ho.
Crédit photo : Régis d'Audeville, Cinémathèque Française.

date
  • décembre 2006
crédits
Interviews