Interview Fabrice ARDUINI

La Maison de la culture du Japon a diffusé du 2 novembre au 2 décembre 2006 tout une rétrospective consacrée à NARUSE Mikio, consideré comme le "quatrième grand" du cinéma japonais. L'occasion était trop belle pour passer sous silence cet évènement surtout lorsque l'on sait qu'une poignée d'inédits étaient diffusés pour la première fois en France. C'était aussi l'occasion de rencontrer Frabrice ARDUINI, journaliste et programmateur cinéma, pour connaître ses opinions sur le cinéaste, sur le cinéma japonais en général et sur les prochains évènements qui auront lieu au sein de la Maison de la culture du Japon.


Naruse et le public

Pouvez-vous nous présenter votre rôle de programmateur au sein de la Maison de la culture du Japon ?

On n’est pas un festival, on n’est pas une cinémathèque, on est un peu entre les deux. Sinon après il y a aussi le travail, c’est la Fondation du Japon qui gère le bâtiment, avec divers programmes de subventions dans tous les domaines culturels, et bien sûr dans le cinéma.

Avant tout, êtes vous satisfait de l’engouement du public parisien au sujet de Naruse Mikio ?

Oui, parce qu’en fait la découverte de NARUSE Mikio s’est faite il y a à peu près 5-6 ans. C’était le précurseur de la rétrospective à la Cinémathèque Française où ils présentaient à peu près tous les films de NARUSE Mikio à l’époque, qui avaient eu un succès assez phénoménal dans la salle des Grands Boulevards, et donc de ce jour beaucoup de festivals ont programmé de-ci de-là quelques films de NARUSE mais les distributeurs de leur côté n’ont pas ressorti les films qui avaient été distribués une fois au début des années 90. Et donc petit à petit on a senti que le public était prêt à comprendre, à apprécier les films de NARUSE et c’était l’occasion pour la Fondation du Japon (parce que les copies viennent de là) de faire une rétrospective pas seulement en France mais d'autres pays européens : plusieurs villes en Allemagne, Cologne, Munich, Berlin…en Autriche aussi. En fait, elle a même débuté en Corée au mois d'octobre. Ces rétrospectives itinérantes nous permettent de balayer plusieurs pays pour en quelque sorte familiariser le public avec NARUSE. Il l’était avec ceux que l’on appelle les grands maîtres, donc on a osé écrire le « quatrième grand » pour NARUSE car on le pense même si il y a quelques Japonais qui ne sont pas tout à fait d’accord, mais on ne va pas chipoter. Il y a OZU, MIZOGUCHI, KUROSAWA et maintenant il y a NARUSE. Après, c'est plus délicat, mais on peut dire que le cinquième c'est UCHIDA Tomu. Ce qui a sans doute été aussi intéressant pour le public c’est de voir des personnages comme Setsuko HARA, qui est quand même assez connue du public français avec OZU, et de la voir sous un angle complètement différent avec des expressions beaucoup plus lâchées, que ce soit de la colère ou du rire ; elle a vraiment des expressions d’une actrice que l’on dira « naturelles ». C’est vraiment le moyen de redécouvrir cette actrice dirigée par NARUSE, qui est vraiment différente de ce que l’on connaît habituellement d’elle.

Vous êtes donc en gros satisfait de la popularité de NARUSE auprès du public parisien ?

Oui, complètement. Même je pense que l’on va atteindre les 10000 spectateurs, ce qui n’est pas mal sur trois semaines…et ce qui nous fait très plaisir, c’est que l’on a battu le record de la moyenne d'entrée par séance : la moyenne jusqu’à présent était de 155 avec KUROSAWA Kiyoshi. Là, je pense on devrait arriver à 180 avec Naruse. C’est bien pour l’avenir puisque l’on va peut être faire SUZUKI Seijun, une trentaine de films, car on ne connaît pas tout son travail. Donc oui nous sommes très satisfaits.

C’est d’autant plus encourageant du fait de la barrière de la langue car tous les films ne sont pas proposés avec des sous-titres français…

C’est vrai, je suis d’accord avec vous. C’est en cela une grosse difficulté. Quand vous êtes un festival, que vous faites les choses de manière ponctuelle une fois l’année, vous pouvez budgétez tout ce que vous voulez, mais nous on fait des films très régulièrement et c’est vrai que nous n’avons pas les moyens financiers de tous les sous-titrer car cela représente un coût. J’en sous-titre quelques uns dans le cadre de mon travail et je ne peux pas tous les faire car je n’ai pas forcément le temps, ce ne serait pas possible. On pourrait bien prendre des stagiaires mais je suis contre ce système, donc du coup on sous-titre ce que l’on peut. Mais dans le fond on a tout de même pas mal sous-titrés, notamment les inédits. De plus ce qui posait un problème c’est que les films de NARUSE sont extrêmement bavards , alors cela prend encore plus de temps. Il y en a un qui était terriblement bavard, je ne sais plus trop lequel …

…un que j’ai trouvé particulièrement bavard, peut-être même trop larmoyant…c’était « Epouse »…

Oui voilà c’était « Epouse ». J’ai été déçu par « Epouse » aussi. Et c’est ça qui fait la différence avec OZU, c’est qu’OZU n’a raté aucun film. NARUSE c’était quand même un artisan, donc il fallait produire, la Toho, surtout à cette époque d’âge d’or (les années 50)…il faisait quatre, cinq films par an ce qui est tout de même énorme, et je crois qu’il y a des moments où il ne suivait plus la cadence, que le scénario partait en vrille, comme dans ce film. Par exemple les histoires dans « Epouse » avec le mari qui s’en va avec les 200 billets, il y a quelque chose qui cloche dans le scénario…j’ai l’impression qu’il ne savait plus quoi en faire de ce personnage. Il y a des incertitudes et on le sent parfois.

Est-ce qu’il y avait des films de Naruse qui vous intéressaient mais qui malheureusement au niveau des droits, n’étaient pas disponibles ? Ou alors un empêchement du fait de copies trop rares ou onéreuses ?

C’était une question d’argent surtout. Je ne sais pas si vous avez vu, mais il n'y avait que des copies neuves en dehors des trois films en 16mm. Vous avez même eu des films qui sont sortis de leur boîte pour la première fois ici. Je ne sais plus lesquels, il faudrait que je vois ça avec le projectionniste…

Effectivement, la copie de « Tourments » était vraiment fabuleuse…

C’est vrai que ces copies représentent un coût et je pense que c’est surtout pour ça qu’on n’a pas pu en avoir plus. Mais je pense qu’à l’avenir, d’ici trois ans on achètera les autres.

Historique et popularité

On sait qu’à l’époque de la fin années 30, début 40, l’industrie cinématographique japonaise était souvent liée en minorité à des films de propagande politico-militaire. Est-ce que NARUSE Mikio a souffert de ce genre de pression de la part du Gouvernement ?

C’est une question délicate. Car les réalisateurs ont parlé très peu de cette époque après la guerre. Quand vous voyez un film comme « Acteurs ambulants» voir même « Hideko receveuse d’autobus », on ne voit pas un film de propagande. TAKAMINE Hideko jouait pour la première fois avec NARUSE, c’est un film qui ressemble beaucoup à NARUSE puisque ce dernier aime beaucoup les trains, jamais très loin de ses personnages. Le passage d'un train signifie souvent qu'un personnage est en train de choisir un destin, a pris une décision sur sa vie dans son for intérieur. Donc ce film a bien marché et il a souvent repris cette histoire de receveuse que l’on retrouve souvent dans ces films. Et vous retrouvez souvent la même TAKAMINE qui joue ce rôle de receveuse d’autobus. Je ne vois pas vraiment où est la propagande là-dedans. Un film comme « Acteurs ambulants », c’est un film comique même s'il se termine assez bizarrement, la fin est un peu ratée. On a dû mal à déceler un message de propagande dans ces films. Bien sûr qu’il y avait une pression mais elle venait de la censure. Il faut quand même distinguer les époques : la vraie censure ne commence qu'à partir de 1939 avec une "loi sur le cinéma" et se renforcera avec la guerre totale qui débute en 1942 quelques mois après Pearl Harbor, Les autorités ont mieux contrôlé la production car il y avait un manque de matières premières donc il a fallu regrouper toutes ces sociétés de production, c’est pour cela que vous n’avez que trois grands pôles de production durant la guerre avec la Toho, Daiei et Shochiku. La censure est alors renforcée. Il y avait une contrainte, évidemment, mais pour les cinéastes c’était moins au regard du contenu. Les films de propagande comme on les connaît chez nous, on en a eu beaucoup moins au Japon. Dans la mesure où le film ne parlait pas de politique, surtout du communisme, ou ne remettait pas ouvertement en cause l'ordre établi les gens continuaient à faire du cinéma. Le problème que l’on a avec le Japon c’est que l’on connaît mal cette période. Mais les Japonais n'ont jamais été très doués pour les films de propagande. Même pendant la guerre, ils avaient gardé leur admiration et leur curiosité légendaire pour l'Occident, le cinéma français et américain surtout. Les films de propagande j’en connais quelques uns : ils n'ont rien de terrifiant, on s'en étonne même ! On ne montre pas l’ennemi dans ces films-là. On montre d’avantage le Japonais au combat, le vaillant soldat qui se fait tuer, on ramène son corps et sa famille pleure, c’est même un peu larmoyant. Et les Miyamoto Musashi tournés durant cette période font de ce personnage un guerrier plus vaillant que jamais; mais là encore "l'effet de propagande" n'est pas d'une grande efficacité. On ne sent pas les cinéastes très enthousiastes dans ce genre d'exercice. Certains films destinés initialement "à la propagande" finissent même par devenir des chef d'œuvre du cinéma japonais comme "les cinq éclaireurs" de Tasaka Tomotaka, encore un illustre inconnu à faire découvrir. Il faut connaître ça car on dit plein de bêtises là-dessus, tout simplement par ignorance. Quand on voit un film comme « Acteurs ambulants », "la chanson de la lanterne", ou "Hideko, receveuse d'autobus", on sent très peu la censure militaire derrière…Donc les cinéastes s'efforçaient de poursuivre vaille que vaille leur boulot, entre manque de pellicule, censure sur scénario, manque de main d'œuvre en raison des mobilisations, ce qui les préoccupait surtout c’était de pouvoir faire des films, malgré les difficultés. La censure n'était qu'une de ses difficultés. Et on leur demandait très peu de films de propagande. La propagande était plus présente dans les films d'actualité. Par contre, la censure fut beaucoup plus sévère, plus profonde quand elle futprise en main par les forces d'occupation américaines à partir de septembre 1945. Voir sur le sujet Mr. Smith Goes to Tokyo: Japanese Cinema Under the American Occupation, 1945-1952 par Kyoko HIRANO.

Toujours à propos de NARUSE Mikio, pourquoi ce dernier n’a pas eu la reconnaissance d’un KUROSAWAa ou d’un MIZOGUCHI en Europe ?

Au départ, il y avait des gens qui allaient au Japon et qui connaissaient ses films. Je pense qu’ils devaient un peu s’ennuyer avec ces histoires de familles en apparences banales, trop ordinaires. Ils n’avaient peut être pas conscience du style de NARUSE, de son naturel. Les films de NARUSE sont très simples, on parle du quotidien. Mais je pense que l’on était plus envoûté par l’esthétique de l’image de MIZOGUCHI. On recherchait d’avantage l'art, l'esthétique dans les films japonais, plutôt que la belle facture d'un artisan, comme NARUSE. Pourtant, le cinéma japonais est un cinéma d'artisan. La notion d'art là-bas diffère de celle de chez nous.

La vie, les femmes...

Effectivement, NARUSE Mikio évoque un quotidien somme toute banal, dresse en général des portraits assez sublimes de la femme, chose plutôt étonnante quand on connaît à cette époque leur condition sociale. Qu’est-ce qu’évoque pour vous cette importance de la femme chez le cinéaste ?

« cœur » ou « épouse » est assez fréquent dans ses titres de films. NARUSE est attaché à cette idée de cœur « kokoro » car les sentiments peuvent résoudre beaucoup de choses. Au sujet d’un divorce « Si tous les gens agissaient avec leur cœur, il n’y aurait pas besoin de faire de procès au tribunal, il n’y aurait pas besoin de lois, tout fonctionnerait à merveille » (citation d’un film de NARUSE Mikio dans « Cœur d'épouse »). Les femmes chez NARUSE sont sincères, ce sont des femmes qui prennent des initiatives, battantes, et qui font tout pour que le couple fonctionne. Il y a chez elles la volonté de construire le couple. Les hommes sont montrés sous une forme un peu lâche (ils sont souvent traités de brutes ou de bête) et on voit toujours la femme essayer de retisser les liens car Naruse montre quand même que chez ces femmes il y avait un amour profond et ces liens avaient tendance à aller un peu à droite à gauche, se déchirent à cause des aléas de la vie, et on voit ces femmes toujours recoudre et reconstruire, ce sont vraiment les héroïnes. Et c’est pour ça que dans « le Repas » à l’époque qui avait fait un peu de bruit car la fin est plus optimiste que dans la roman original, la femme retourne chez elle. Alors il y a des gens qui disaient « non mais vous vous rendez compte, elle s’est fait malmenée par son mari mais elle revient, elle en veut, elle est maso ! » (rires) mais ce n’est pas du tout ça. Il y a avait une sorte de jalousie avec son mari qui revient avec sa nièce où ils se tiennent la main…c’est pas que le mari a couché avec la nièce, c’est que simplement la femme trouve qu’il a plus de complicité avec sa nièce qu’avec son épouse en quatre ans de mariage, c’est ça le problème, mais ça ne va pas jusqu’au divorce…. Les femmes sont bien là pour recoller les morceaux. Dans « L’éclair » aussi on montre une mère qui n’avait pas l’air d’être très bonne mère avec ses enfants…et il y a un moment dans le film où elle tombe en larme, on ressent vraiment dans le métrage un amour qui éclate, c’est un débordement de sentiments et ça se finit plutôt bien je trouve dans ce film.

On va parler un peu d’autre chose, tout en restant finalement dans le contexte. HARA Setsuko est pour ma part l’une des plus grandes actrices de l’histoire du cinéma qu’il soit mondial ou japonais, mais comment expliquez-vous que sa carrière a subitement prit fin dans les années 60…comment cela se fait-il qu’on en entende absolument plus parler ?

Même maintenant elle reste cachée…il y a des paparazzi qui se cachent des fois, parce qu’elle habite à Kamakura (sud de Tokyo), ville où vivait aussi OZU, il y a bien quelques photos qui paraissent de temps en temps dans les journaux avec des paparazzi qui tentent de prendre des clichés d’elle dans son jardin, mais concrètement je n’ai pas de réponses. Je pense qu’elle était consciente qu’elle n’était pas une actrice ordinaire de part sa beauté aussi et je crois qu’elle n’a pas supporté de vieillir

Question existentielle et bilan

A propos de NARUSE Mikio, pourquoi avoir choisi lui plutôt qu’un autre ? Etait-ce finalement pour accompagner, voir promouvoir la sortie du coffret NARUSE édité chez Wild Side ou juste une simple idée de votre part ?

C’était assez exceptionnel, on a essayé de faire une synergie. On a commencé l’année dernière avec la sortie du livre « Nuages flottants » aux éditions du Rocher. A l’époque on voulait vraiment faire quelque chose. On a donc essayé de faire une synergie entre Wild Side, la sortie du livre de Jean NARBONI (Naruse, les temps incertains aux Cahiers du cinéma) et puis cette rétrospective. C’est donc un exemple assez réussit de synergie entre plusieurs acteurs qui travaillent au même but : la reconnaissance de NARUSE comme un grand maître. On est content de ça car l'union fait la force ceci a donné lieu à une belle collaboration. Il faudrait le renouveler souvent mais ce n’est pas facile.

De manière globale, que retiendrez-vous de cette rétrospective ?

Je pense que ça s’est vraiment bien passé. Il y a un intérêt aujourd’hui pour ce genre de films, tout ce qui est ces petits drames de la vie quotidienne. Les gens arrivent à ressentir les troubles passionnels qu'ils cachent, tels que l'exprime le titre même du « grondement de la montagne », quelque chose de profond mais qu'on ne voit pas en surface. C’est tellement universel. Il y a aussi l'étonnante beauté de toutes ces actrices qui jouent, ces décors naturels, ces travelling de couples en train de marcher côte à côte, l'omniprésence des trains qui surgissent de nulle part, comme de la conscience des personnages quand ils sont en train de prendre des décisions importantes pour leur vie.

Ca tombe bien que vous en parliez car dans « Cœur d’épouse », une personne comme MIFUNR Toshirô est littéralement relégué au second plan du fait de la prestance des actrices.

Il n’est pas forcément relégué au second plan, mais il surgit comme ça et la femme tombe plus ou moins amoureuse de lui. Il y a ce contraste où il est bien sapé, où il a cette prestance, un physique très séduisant. Par rapport au mari de cette épouse, qui lui est un petit bonhomme, et dont on ne peut pas dire qu’il soit un charmeur, un homme à femmes. C’est ce contraste qui est très intéressant entre ce jeune premier, banquier, dynamique…c’est pour cela qu’ils l’ont mis parce que c’est un personnage qui ne passe normalement pas du tout dans les films de Naruse, il n’est pas calibré pour ce genre de film. Cette vision du quotidien morne, avec des personnages un peu ternes, surtout les hommes avec "leur vilaine cravate" (Le repas) et leur pantalon tout fripé (rires). C’est vrai que les femmes ont plus de charme que les hommes dans les films de NARUSE. MIFUNE on le voit arriver comme ça, avec sa voix virile…je pense qu’il a dû se marrer, ce n’est pas du tout son calibre…

Effectivement on est loin du personnage héroïque des films de KUROSAWA…

Nous sommes d’accord (rires).

Des projets

Est-ce que vous projetez dans l’avenir de faire une prochaine rétrospective sur d’autres maîtres du cinéma japonais classique excepté celle d’OZU qui aura lieu courant février ?

OZU c’est un peu exceptionnel, car notre politique est plutôt de montrer ce qu'on ne peut pas voir ailleurs. OZU est diffusé régulièrement en effet dans les salles art et essai de Paris depuis 20 ans; si on faisait la même chose, ce serait un peu du gâchis. Mais pour fêter les dix ans de la Maison de la culture du Japon, on a décidé de faire OZU à condition qu'il y ait quelque chose d'exceptionnel qui enrichisse cette rétro, lui donne son intérêt. Alors quitte à faire OZU, il faut que ce soit exceptionnel, qu'il y ait un plus par rapport aux autres salles. C'est donc de faire un spectacle avec les films d'OZU. Notre objectif est de montrer tout ce que nous ne pouvons pas montrer ailleurs. On a essayé Heinosuke GOSHO, Hiroshi SHIMIZU, Yuzo KAWASHIMA, Tomu UCHIDA etc., et ce qu’on essaie de montrer c’est que le cinéma japonais n’a dévoilé qu’une partie de son trésor et qu’il y a encore au bas mot vraisemblablement 50 réalisateurs à découvrir que ce soit d’avant-guerre ou d’après-guerre. Peut être que certains sortiront en DVD ou en salles et tant mieux, on parle bien du cinéma de l’âge d’or et pas du cinéma contemporain. Notre but n’est pas de montrer les derniers films qui sont sortis au Japon. On préfère travailler sur les inconnus, des thématiques, ou des histoires de maisons de productions. Nous avons aussi présenté en 2002 l'animation japonaise d'avant-guerre, pour montrer que MIYAZAKI et tous les autres n'étaient pas tombés du ciel… Tout ce que nous faisons est un travail de mise en perspective, pour mieux faire comprendre le cinéma japonais.

Pensez-vous faire dans un avenir proche LA rétrospective de KUROSAWA Akira ?

On pourrait y penser pour le dixième anniversaire de sa mort. Avec KUROSAWA ce qui serait bien de faire, c’est évoquer sa période où il était assistant réalisateur ou alors parler de ses mentors. Kurosawa avait été remarqué dès ses débuts d'assistant réalisateur. On lui a d’ailleurs laissé très vite des scènes à filmer et on trouve des séquences dans les films de TAKIGAWA Eisuke ou de Kajiro YAMAMOTO, (son mentor) identiques au détail près dans « Les sept samouraïs ». il y a un moulin où le chef du village est réfugié et dans un film de TAKIGAWA Eisuke (Sengoku guntoden La légende des bandits des guerres de l'époque Sengoku) on retrouve un moulin quasi identique, sous le même angle, c’est assez étonnant. Donc ce serait bien à cette occasion de dire « voilà, KUROSAWA c’est ça, et ses influences ». Par contre en 2007 on va commencer une série sur l’histoire des majors japonais. On va prendre la Nikkatsu (la plus ancienne) et on va essayer de trouver des vieux films des années 20, parmi les plus anciens, jusqu'aux dernières productions des années 70...

Est-ce que c'est la maison de la culture du Japon qui choisit les films diffusés ou est-ce que vous vous concertez au préalable avec les différentes boites de distribution ?

Oui, c'est la maison de la culture du Japon. Mais pour NARUSE c’était quelque chose de plus grande envergure, il s'agit d'une tournée en europe. C'est la Fondation du Japon qui a eu l'idée d'acheter une quarantaine de copies. Il a fallu après se coordonner pour que la rétro tombe a peu près en même temps que la sortie du livre et le coffret DVD. De même que pour les documentaires, on essaie toujours de faire des documentaires mais qui soient conviviaux, que les gens puissent discuter. Et puis de temps en temps il y a des gros trucs qui arrivent comme par exemple avec la rétrospective OZU, où j’ai trouvé que c’était important de la faire, de remettre les pendules à l’heure parce qu’on a écrit plein de bêtises sur OZU et le but était de revenir aux sources du muet (et faire relire les textes aujourd'hui, encore d'une belle pertinence et d'une incroyable fraîcheur écrits il y a plus de trente ans par les premiers découvreurs d'OZU.). C’est pour cela qu’on va faire des spectacles avec des narrateurs, on voulait remettre un peu cette ambiance de salle, on va baisser tous les gradins, il y aura le benshi (narrateur) avec son orchestre. On va essayer de recréer une atmosphère enfumée (sans que cela cache l'écran), de retrouver cette ambiance avec des copies sans sous-titres et en fait le narrateur va réécrire le scénario et le déclamer au rythme de son orchestre. Parce qu’à l’époque les mecs réécrivaient tout, ce que n'appréciaient pas les réalisateurs. Vous allez donc redécouvrir GOSSES DE TOKYO et CHŒUR DE TOKYO les 27 et 28 février, et pour ceux qui rateront ça, le 1er mars à Bruxelles.. L'orchestre écrira une musique originale, le benshi un scénario original à partir des images.

Cela tombe bien que la Maison de la culture du Japon n’oublie pas ces cinéastes, et permet ainsi aux spectateurs lambda ou aux aficionados de redécouvrir des réalisateurs qui ne disposaient pas forcément d’une grande réputation sur le sol français, notamment NARUSE Mikio.

On le montrait comme un réalisateur très noir. Ce n’est pas le cas du tout. Même dans « Nuages flottants » où il y a de presque de l’humour quelque part dans les hésitations incessantes des deux personnages, en tout cas NARUSE prend ses distances avec la noirceur du roman original.

Son chef-d’œuvre ?

Au Japon, il est considéré comme son chef d’œuvre, et un des plus grands films du cinéma japonais. La fin atteint une émotion qu'on ne trouve pas à l'époque dans le cinéma japonais, dans ce décor d'un autre monde, sombre et humide qui symbolise un monde où le temps s'est arrêté, le temps qui passe ce à quoi se refusent les deux personnages. Son chef d'œuvre Il n'y a aucun doute, pourtant, Naruse a pris beaucoup de distance avec le roman. Il y a parfois comme de l'humour dans le flux et le reflux sentimentaux des personnages, comme si leur relation n'allait jamais finir mais en même temps définitivement brisée depuis l'après-guerre. Je ne sais plus où j'ai lu que NARUSE parlait des deux personnages "comme de deux organes sexuels qui allaient bien ensemble. " ou quelque chose comme ça.

Effectivement quand on voit un film comme « Pluie soudaine » on rie tout de même beaucoup…

Oui et même si la fin est assez touchante. On rigole, c’est très léger. Plus émouvant est le "Filles, épouses et mère". Autre film qui nous permet de découvrir un NARUSE ni ténébreux ni "pessimiste", cette image qu'on avait de lui jusqu'à présent. Un autre très bon film : « A l’approche de l’automne » et le jeu étonnant des deux gamins, leur innocence dans un Japon en pleine métamorphose où l'on sent que tout est en train de basculer .. C’est vraiment un film qui moi m’a touché, avec la mère qui disparaît en abandonnant son gosse, comme si tout le monde était happé l'un après l'autre, de manière chaotique, par cette immense transformation que vit alors le Japon.

Propos recueillis par Carth, le 2 décembre 2006 à Paris.
Merci à Fabrice Arduini pour le temps qu'il aura consacré à cette interview.

date
  • décembre 2006
crédits
Interviews