Machination sensuelle et ammorale.
Le métrage de Masumura n'a jamais aussi bien porté son nom. Passion, terme aussi fascinant que dangereux puisque venant du Latin
patior qui signifie
souffrir, nous narre les mésaventures de deux couples qui vont voir peu à peu une machination s'installer et qui va de surcroît bouleverser leurs habitudes. Le plus intéressant finalement réside dans le changement de comportement des protagonistes féminins qui passent de l'état d'amoureux cachottiers à anarchistes suicidaires et machiavéliques, entraînés encore plus bas dans la spirale de la mort par leurs compagnons respectifs.
Belle composition donc de la part de Kishida Kyoko (qui nous a quitté l'année dernière) en femme manipulée par sa propre passion, qui a cause de son amour infinie pour la belle Mitsuko (Wakao Ayako) va créer un espèce de cercle vicieux où traîtrise, fausses rumeurs et complots sanglants (terme justifié car deux des interprètes vont jusqu'à s'échanger leur sang lors d'une scène particulièrement malsaine) vont s'entremêler jusqu'à aboutir à la jouissance et la souffrance, sorte de descente aux enfers rappelant, dans un tout autre domaine, le dérangeant
La grande bouffe de Ferreri où l'idolâtrie d'un objet (la nourriture chez l'un, le culte de l'apparence chez l'autre) conduira irrémédiablement à la mort.
Les dix dernières minutes sont des plus explicites, où les personnages principaux tenteront de se donner la mort après avoir brûlé de l'encens devant le portrait de Mitsuko, peint par Sonoko. Un culte du physique aussi glauque qu'effrayant.
Passion est donc un vrai film d'horreur sous ses apparences trompeuses, à l'esthétique raffinée. A noter aussi, la superbe musique qui ne s'arrête pratiquement jamais.
Je mourrai pour toi
Film passionnel extrême entre 2 femmes qui évoquent la mort dès qu’elles évoquent leur amour, film étonnamment moderne pour les années 60,
Passion instaure un quatuor sensuel stupéfiant, très rythmé et sans issue tellement il semble sortir des sentiers battus de la morale d’une société japonaise encore coincée. L’éclectique Masumura Yasuzo se révèle encore une fois être un très bon directeur d’acteurs en faisant la part belle aux femmes : Wakao Ayako et Kishida Kyoko sont excellentes dans des rôles très complexes et complémentaires.
le quatuor passionnel
Manji est une magnifique adaptation d'un roman de Tanizaki. Mais Manji est d'abord un caractère chinois en forme de croix gammée retournée. Dans la religion bouddhiste, ce caractère apparaissant sur le torse de bouddha symbolise le pouvoir spirituel du coeur. Mais les quatres branches du Manji représentent quatre principes spirituels et les bras qui les lient sont les liens entre ces principes. L'idée de pouvoir du coeur se retrouve dans la personnification de la jeune Mitsuko (Ayako Wakao actrice fétiche de Masumura) en déesse bouddhiste du salut.
Et les quatres personnages ont également de forts liens entre eux: Sonoko, femme de l'avocat Kotaro, vit une forte relation avec Mitsuko; les liens entre Mitsuko et son compagnon Eijiro deviennent source de tension entre les deux femmes; Mitsuko et Kotaro verront une passion naitre entre eux au cours d'un très particulier échange de partenaires; Eijiro et Sonoko signent un contrat avec leurs sangs pour rapprocher Sonoko de Mitsuko (la scène où les deux protagonistes sucent le sang de l'autre souligne l'aspect quasi-vampire des liens passionnels entre les personnages, chose dont Claire Denis se souviendra pour son magnifique Trouble Everyday). Tous ces liens paraissent compliqués sur le papier mais le résultat à l'écran est toujours parfaitement intelligible au spectateur.
Car c'est dans les interactions que les personnages se révèlent les uns aux autres. Mitsuko fait office de révélateur à Sonoko de l'ennui bourgeois de son couple, de sa haine pour son mari dont elle pense qu'il l'a épousé par intéret pécunier (et aussi d'un Kotaro qui se décide enfin à couvrir sa femme d'attentions quand il sent qu'il peut perdre sonvernis de respectabilité sociale). Le quatuor va également etre créateur d'une comédie permanente: Mitsuko se fera passer pour enceinte ou feindra le malaise afin d'etre plus proche de Sonoko, les personnages multiplient les faux suicides (à chaque fois qu'ils avalent un sachet de somnifères, ils ne savent pas lequel périra; Mitsuko force Sonoko et Kotaro à avaler de la poudre afin de mettre à l'épreuve ce qui reste de leur couple; tandis qu'elle est somnolente, Sonoko entend son mari faire l'amour avec Mitsuko). Il s'agit à chaque fois d'une expérience aux limites de la mort et du désespoir afin d'expérimenter tout ce qui peut détruire ou renforcer la passion. Voir si l'on a vraiment peur de perdre l'etre aimé, si l'on est vraiment pret à céder au chantage affectif de l'autre. Car pour les personnages la plus grande jouissance est liée à la mort car c'est le seul endroit où une vraie fusion des etres peut exister sans etre parasitée par le revers possessif de la passion sur terre. Avant leur tentative de triple suicide, le trio Sonoko/Mitsuko/Kotaro se recueille devant une statue bouddhiste et semble à l'orée de la félicité.
Une mise en scène faite de cadrages au cordeau et des violons lancinants contribuent à refléter cinématographiquement la passion qui traverse tous les personnages. L'investissement énorme des acteurs nous offre des performances chargées émotionnellement. Pour ce qui est de la question d'une adaptation cinématographique réussie, Manji est également un des rares films où l'option de la fidélité au roman fonctionne (en général, les plus belles adaptations sont celles où le cinéaste s'est réapproprié l'oeuvre, l'a fait sienne: Salo de Pasolini, Crash de Cronenberg). Cela provient du fait que la distance, question centrale du cinéma, fait partie de l'oeuvre de Tanizaki: ici, le film alterne le récit proprement dit avec les plans de Sonoko racontant le récit à un interlocuteur; ces derniers plans montrent ses réactions, son émotion toujours vivace, ce qui reforce le thème présent chez Tanizaki de l'éternité du feu de la passion.
Tout ceci fait de Manji une film d'une puissance érotique tellurique alors que la sexualité n'y est jamais montrée de manière frontale. Avec L' Empire des Sens, il est la preuve indiscutable de ce que la littérature et le cinéma japonais sont maitres dans l'art de rendre compte de la complexité, des raffinements de la passion amoureuse et du pouvoir des femmes dans le monde de la passion.
Passion ne ment
Avec cette nouvelle adaptation d'un roman de son auteur fétiche Junichiro Tanizaki, Masumura se trouve dans son plein élément: dépeindre une relation obsessionnelle et les ravages de l'amour sur des individus. Sauf qu'au lieu des tourments d'un couple hétérosexuel, le réalisateur s'attaque à l'homosexualité à travers l'étrange jeu entre deux femmes.
Provocateur, Masumura s'amuse à briser les tabous et à bousculer les conventions, notamment par cette incroyable scène érotique du "déshabillage" enragé de l'une par l'autre en début du film – seul moment où la femme passionnée aura la main; car dévorée par son amour, elle perdra rapidement tous moyens face à "l'obscur objet de désir", qui n'en finit pas de jouer avec sa maîtresse dans un étrange jeu de "dominant – dominée". Et au réalisateur de forcer sciemment le trait pour démultiplier les élans obsessionnels…jusqu'à donner à son film les traits d'un vaudeville…pour adultes.
Autant le film gagne en grotesque, autant il perd de sa superbe sensibilité et de son érotisme troublant de son début. Dommage, qu'il n'ait pas gardé le cap pour tenter de forger un vrai chef-d'œuvre du thriller érotique et psychologique.
CREVE-COEUR
Adaptation du roman de TANIZAKI Junichiro "SVASTIKA", le film conte l'histoire d'une passion dévorante et obsessionnelle entre 4 personnages .
Construit autour de WAKAO Ayako, Mitsuko TOKUMITSU dans le film, le réalisateur MASUMURA Yasuzo nous a révélé une actrice des plus fascinante, sublime, sensuelle et au charisme fou et exceptionnel . Dans "PASSION", on peut dire que la belle mène vraiment la danse ; à son contact hommes comme femme semblent hypnotisé et sous l'emprise de cette Mante Religieuse .
Manipulations psychologiques en tout genre jalonnent le film où le personnage de Mitsuko, sous son apparence angélique cache un caractère vil et miachiavélique ; c'est vraiment un personnage égoiste et calculateur, mais qui est parvient quand même à nous émouvoir . Sonoko KAKIUCHI, superbe KISHIDA Kyoko, est tout le contraire de Mitsuko, cependant sous ses apparences de première communiante elle n'est pas dupe du jeu de son amante bien qu'elle lui fait croire le contraire . Eijiro WATANUKI, l'amant de Mitsuko et Kotaro, le mari de Sonoko son plus en retrait dans le film ...
Comme dans toute l'oeuvre de MASUMURA Yasuzo, amour, passion et mort sont liés, Eros et Thanatos et dans "PASSION" on ni échappe pas bien qu'elle ne soit pas aussi violente que dans "La bête aveugle" . Dans l'ensemble, j'ai bien aimé le film bien que je lui préfère "La femme de Seisaku" et "Tatouage", en espérant une sortie des autres films du duo MASUMURA Yasuzo / WAKAO Ayako qui ont bien fait 10 ou 11 films ensemble .
De TANIZAKI à MISHIMA
MANJI (SVASTIKA en français)le livre de Tanizaki,a beau dater de 1928,sa modernité reste frappante en 2004.Il en va aussi du film de MASUMURA.
Ce chassé-croisé amoureux entre quatre personnages est toujours limpide,passionnant à suivre et mis en scène avec une efficacité remarquable,à la manière d'un témoignage vécu raconté à un vieil écrivain (qui ressemble évidemment beaucoup dans ce film au vrai TANIZAKI ),et en cela fidèle à la construction du roman.
Les deux actrices sont parfaites,AYAKO WAKAO l'actrice-fétiche du réalisateur,se révélant trouble et vénéneuse, et sa partenaire,la tout aussi sublime KYOKO KISHIDA(la fameuse FEMME DES SABLES) étant quant à elle trés émouvante livrée à cette passion qui la consûme.Les deux hommes sont évidemment en retrait,il s'agit avant tout de traiter du pouvoir de séduction féminin et des ravages qu'il provoque...en toute acceptation des victimes.
Oeuvre raffinée,esthétique et à la sensualité authentique,(on ne voit pourtant quasiment rien de la nudités des héroines), MANJI bénéficie de l'apport d'une musique trés souvent présente en arrière-plan et qui accompagne à la perfection les tourments des protagonistes et les retournement de situation liés aux faux-sembalnts et aux mensonges qui parsèment ce véritable piège des sentiments qui s'offre à nous.
Si la thématique de la passion amoureuse est présente dans toute l'oeuvre de TANIZAKI,le fait de dater ici le scénario dans les années 60 (celle du tournage du film) lui amène un style et une ambiance propres à un autre grand romancier japonais,YUKIO MISHIMA,autre grand observateur sans concession des rapports amoureux :avec cette histoire de manipulation exercée par le pouvoir de séduction fascinant de la belle MITSUKO et la cruauté des situations qui en découlent,nul doute qu'il a dû trouver des points communs avec son propre univers.
De quoi apprécier un peu plus,si besoin était, ce film brillant et superbement composé.