Xavier Chanoine | 3 | Fourmille d'idées. Un bordel sans nom mêlant humour et horreur |
Harada Masato est quelqu'un de fou. Adaptation du roman éponyme d’Akimoto Yasushi (à qui l'on doit entre autre One Missed Call, Walking My Life...), The Suicide Song relate les faits mystérieux survenus dans un lycée de filles, où une des écolières, Kana, s'est suicidée dans d'étranges circonstances. L'une de ses amies était présente sur le moment, assistant désemparée à la scène. Elle rapporta à deux hommes un peu spéciaux que Kana fredonnait une chanson juste avant son décès. Une légende urbaine raconte qu'une chanson aurait des vertus dangereuses chez la personne qui la chanterait, provoquant son suicide. Deux anciens militaires reconvertis dans le journalisme d'investigation prennent l'affaire en main, accompagnés des amies de la défunte : une véritable enquête paranormale commence. Autant le dire franco-direct, The Suicide Song est l'un des films japonais les plus originaux que l'on ai pu voir depuis belle lurette dans le domaine très codifié du film d'horreur ou du thriller, où les pistes sont reconstituées pas à pas, au fil que l'intrigue avance et par la même occasion, recule. Tout le paradoxe du film réside dans son traitement, parfois passionnant comme d'une lourdeur exécrable, la faute à la réalisation de Harada Masato approuvant un montage hystérique, des solutions visuelles cheap à la Obayashi Nobuhiko (la séquence finale, un grand moment de n'importe quoi sentimentalo-fantastique), un style caméra sur épaule aussi contemplatif que brusque, une photo travaillée comme par moment digne d'un téléfilm, le film ne dispose d'aucunes limites sur le plan strictement visuel, tandis que sa narration s'empêtre de longueurs comme de moments véritablement passionnants. Difficile alors d'aimer The Suicide Song, casse-gueule dès le départ avec un nom pareil? Non, franchement non. Petit plaisir coupable de culture pop assénée avec une gentille ironie, ou comment produire de l'autodérision sur un sujet déjà traité au moins vingt fois dans les sempiternels direct-to-vidéo d'horreur nippons.
L'alchimie fonctionne parce qu'Harada propose une vraie mise en abîme, un vertige que le spectateur doit combattre sous peine d'être complètement largué : le personnage de Yusuke Iseya, Taichi, est un bon exemple de retournement aucunement annoncé, le choc n'en est que plus grand, de même que le sentiment d’incompréhension qu’il suscite. Idem pour des séquences entières qui surviennent sans que l'on sache vraiment pourquoi (la fouille de l'appartement d'un supposé tueur) et qu'Harada se plait à montrer par l'intermédiaire d'un point de vue différent, rendant la narration passionnante car truffée de pièges. La séquence où l'ancien professeur de Kana souhaite liquider de la teenager est aussi un vrai moment de Grand-Guignol, où un sujet grave (suicide, meurtre d'adolescent) côtoie l'énergie du montage et l'ironie de ton du cinéaste pouvant provoquer un double sentiment : indignation car grand moment de foutage de tronche, respect car séquence montrée une nouvelle fois sous deux angles différents la rendant définitivement plus riche. Une des autres qualités du film est de faire preuve d’audaces en tout genre : audaces de ton dans l’approche des situations souvent résolues par de simples étudiantes qu’on croirait sorties d’un groupe du Hello Project !, audaces visuelles avec les subtiles scènes de jeux de miroirs, audaces dans la bande-son où des sonorités que l’on pourrait entendre chez Gus Van Sant, Weerasethakul ou dernièrement Ratanaruang s’incrustent parfaitement dans un registre plus classique voir même carrément promotionnel (le « I Wanted to Meet You » du groupe AKB48). Harada n’hésite pas non plus à incruster des citations d’auteurs en tout genre, brassant l’œuvre de Chikamatsu et ses amants crucifiés lors de l’introduction avec un somptueux « Chikamatsu c’est mieux que le sexe ! » ou encore Stephen King qui en prend lui aussi pour son grade, mais guère dans le sens espéré.
Dans le fond, malgré son traitement assez décalé, The Suicide Song n’est qu’une banale enquête policière menée un peu au hasard. Belle variété de terrains visités (virées nocturnes dans un Tokyo toujours aussi intéressant pour les thrillers, campagne japonaise, lycée de filles, pièces baroques où sortant de l’imaginaire à l’image de la séquence finale), personnages sortant des sentiers battus (les contacts de Riku), et vraie atmosphère délicieusement décalée où des plans à la Tarantino (les menaces de Taichi au commissariat) côtoient d’autres définitivement japonais comme ces beaux travellings hautement contemplatifs rappelant le travail, de façon minime certes, d’un grand auteur sur la « jeunesse nippone » qui n’est autre que Somai Shinji. On aurait pu prétendre à voir une certaine forme de copycat d’un Obayashi Nobuhiko, notamment dans sa séquence finale chantée, agrémentée d’effets spéciaux un poil risibles, mais nous ne tenterons pareille comparaison. Ici, les étudiantes ne sont plus les simples intermédiaires, elles sont actrices à part entière, journalistes investigatrices n’hésitant pas à se mettre dans de beaux draps pour tenter de résoudre ce « mystère mystérieux ». Et c’est parce que Harada sait mettre en scène ses adolescentes (comme il sut le faire brillamment dans le sombre Bounce ko-gals) tout en agrémentant son récit de notes sur la culture pop que The Suicide Song dégage un parfum pas tout à fait identifiable. Son côté parfois raté notamment dû à son approche borderline de l’humour ou de son traitement tout court, fait trembler la corde sur laquelle il repose tout du long.
A cause de quoi ? D’un Riku interprété par un Matsuda Ryuhei qui n’y croit absolument pas tout du long, de poufiasses d’apparence écervelées qui se la jouent détectives et qui portent le temps d’une scène des kimonos traditionnels ? Le spectateur n’y croit pas à son tour mais se laisse porter sans broncher. Idem au niveau de l’intrigue, le film est beaucoup trop long et aurait très bien pu être coupé d’un gros quart d’heure (le flashback militaire, inutile et atrocement clipesque), parvenant même à anéantir les espoirs portés sur le climax de fin qui se réduit là aussi à une sombre escroquerie. Quid aussi de cette femme vivant seule et qui chasse les petits démons avec le jus de ses nouilles ? Quand on vous parle d’escroquerie ! Pourtant on l’aime ce Suicide Song, on aura passé un agréable moment, on n’aura pas frissonné pour un sou mais le spectacle aura valu le détour simplement parce qu’il n’est pas commode, brassant les genres avec une redoutable efficacité, saupoudré d’un vague regard d’auteur sortant des productions nippones habituelles. Frimeur à souhait dans son filmage, complexe et pas bien maîtrisé dans son intrigue, là où un Tsukamoto s’emmêlait lui aussi les pinceaux avec son Nightmare Detective, Harada Masato aura dépoussiéré le genre en se fichant des codes. On ne l’aura pas encore notre Seven version Ramen, trop inégal et trop marrant pour venir titiller les ambiances poisseuses de Fincher. Mais dans le genre « je m’amuse avec un matériau pas bien gai », Harada peut séduire sa petite clientèle.