Alors que le spectateur a déjà été sous le choc des visions de la seconde guerre mondiale par Fukasaku, Suzuki, Ichikawa ou Kobayashi entre autres, L'Ange Rouge s'ajoute brillamment aux réussites sus-nommées et démontre la grande diversité du talent de Masumura Yasuzo.
Contrairement aux autres films de Masumura que l'on a pu voir, celui-ci est en noir et blanc. Ce choix participe de l'esthétique très particulière du film: mélé à une réalisation faite de cadrages au cordeau -les plans chargés de sens sur les ustensiles médicaux entre autres- et de plans fixes, il crée une ambiance littéralement clinique. Sans jamais verser dans le sordide, Masumura met en permanence mal à l'aise le spectateur: les vomissements d'une prostituée atteinte du choléra et les rangées de cadavres y rendent compte de l'horreur de la guerre d'une façon autrement plus efficaces que les multiplications spielbergiennes et wooiennes de bras coupés; le viol collectif est d'autant plus dégoutant que cadré de très près -on n'en voit rien dès lors paradoxalement-, les opérations chirurgicales s'ajoutent à la volonté de suggérer pour mieux rendre compte de l'horreur.
Une autre des qualités du film est de réussir à développer des thèmes forts sur une courte durée. Nishi y est ainsi victime d'une double oppression: elle subit au début du film celle des hommes qui voient en elle du bétail et également celle des supérieures hiérarchiques de son sexe qui lui intiment de refuser d'avoir des émotions. La culpabilité traverse le personnage tout au long du film, toute tourmentée qu'elle est d'avoir provoqué volontairement ou involontairement des morts d'hommes. Elle trouve un alter ego en la personne du lieutenant du film qui est bien plus proches des héros de Kobayashi que des figures kurosawaiennes : un humaniste qui compose avec les circonstances plutot qu'un idéaliste, sauf qu'il est morphinomane ce qui contrecarre son coté héroique. Ce dernier offre des commentaires acerbes sur l'absurdité du sacrifice des soldats japonais et se comporte dignement avec les femmes qu'il cotoie là où les soldats l'imaginent coureur de jupons.
Et le film se fait encore plus cruel lors d'une scène poignante: un soldat s'infecte volontairement une plaie pour pouvoir etre renvoyé au pays; à ceux qui lui disent qu'il risque d'etre amputé, il répond qu'il préfère etre amputé et chez lui que sur le front. A l'image du choléra, la cruauté de la guerre contamine peu à peu tous les protagonistes mais meme si le film est d'un nihilisme absolu -surtout dans sa conclusion- il n'en prend pas moins le spectateur aux tripes surtout grace à un magnifique score classique.
Le titre français en parait dès lors assez ironique: Nishi est bien un ange mais un ange qui se serait sali au contact du réel. Wakao Ayako, l'actrice fétiche de Masumura, offre une interprétation soufflante et fait partager au spectateur sa détermination (à vivre un grand amour malgré les circonstances et qui d'ailleurs sera balayé par le conflit notamment) et la perte progressive de son innocence: à l'instar du héros de la Condition de l'Homme, Nishi ne change de lieu de travail que pour retrouver la désolation et les conséquences atroces des valeurs d'obéissance et de sacrifice sur les individus. Au final, Masumura nous offre sa vision sans concessions du conflit et ajoute une perle de plus à une filmographie très variée.
Aujourd'hui les grands films de guerre savent traiter le propos de manières différentes : l'héroïsme exacerbé (Il faut sauver le soldat Ryan), l'humanisme à toute épreuve (La ligne rouge), la suffisance (La chute du faucon noir), voire l'ironie grinçante (Starship troopers). Que ce soit pour justifier un combat, relater l'Histoire ou dénoncer l'humain en général, tous s'accordent à jouer la fibre de l'antimilitarisme consensuel et démonstratif. Avec bien sûr une bonne dose de spectacle.
En 1977, un film de guerre rageur choisissait le mauvais camp ("les méchants") et des motivations bassement matérialistes et s'avérait ainsi être un véritable brulôt destructeur. L'homme est un homme, il peut être couard ou héroïque, peu importe son camp. Sam Peckinpah nous livrait ainsi un inoubliable Croix de fer, resté implacable et inégalé dans son propos.
Bien avant, en 1966, Yasuzo Masumura faisait son Ange rouge. Tout comme Croix de fer, il fait partie des films de guerre vite jetés aux oubliettes des mémoires collectives. Tout comme Croix de fer, il choisit une vision autre, celle d'une jeune infirmière sur le front. Tout comme Croix de fer, son récit est incroyablement destructeur et efficace.
Cet ange Nishi survole d'innombrables soldats incroyablement mutilés et irrémédiablement désespérés. Faisant abstraction de toute intégrité corporelle, elle soulage à sa manière les "pauvres" massacrés qui s'amoncellent autour d'elle. Avec une photographie magnifique, sa blancheur illumine les salles d'opération assombries par la crasse et le sang, mais elle peine tout de même à dissimuler les opérations de boucherie chirurgicale (un HKC3 paraît disneyen à côté). La love story paraît bien piteuse également, car le Dr Okabe est morphinomane et totalement désincarné. Mais c'est la seule chose à laquelle la belle Nishi peut se raccrocher.
Si le film s'ouvre avec une scène de viol collectif, il n'aura de cesse de plonger ses personnages dans un enfer encore plus profond, encore plus morbide. De l'innocence écrasée aux illusions bafouées, l'horreur se révèle être de plus en plus inextricable, jusqu'au massacre final. Hallucinant du début à la fin avec un crescendo ultime vers la noirceur (du cru du début à la philosophie ultra-pessimiste finale), L'ange rouge prend aux tripes et ne lâche plus. Il dérange mais se ressent plus qu'il ne se comprend. En somme, un film de guerre magistral et totalement radical.
Un an avant L’Ange rouge, Masumura Yasuzo offrait à Wakao Ayako l’un de ses plus beaux rôles dans La Femme de Seisaku. Et ce titre, comme une lettre d’amour à son actrice fétiche. Elle est à ce propos ici une fois de plus au centre des débats, l’ange qui veille au grain, l’infirmière prête à endurer le pire pour exercer en toute franchise son rôle en temps de guerre. Ce qui est étonnant dans L’Ange rouge, c’est que Wakao Ayako, alias Nishi, joue aussi bien l’infirmière que les gros bras, la protectrice, la femme de réconfort, l’âme sœur d’un docteur accroc à la morphine. Ses différentes casquettes offrent au film une pluie de séquences sublimes : ce soldat que l’on ampute, tenu à bras le corps par Nishi, cette dignité gardée tout du long malgré un viol collectif en guise d’introduction, ce docteur Okabe dont elle tombe amoureuse alors qu’il ne pense qu’à la drogue qui lui permet d'oublier les atrocités de la journée, et ce soldat amputé des bras qui ne demande qu’une chose, un peu de réconfort. Sans doute l’une des séquences les plus émouvantes du film, lorsque ce dernier lui fait part, avec gêne et sensibilité, de son envie d’éprouver encore un peu de plaisir. Jamais obscène, la caméra très proche des corps filme avec une précision chirurgicale le souhait, l’envie un peu maladroite d’effleurer la chair pendant qu’il est encore temps. Nishi ira d’ailleurs jusqu’à emmener ce soldat manchot dans un hôtel pour lui donner du bon temps, par simple bonté pour un homme maintenant incapable de se satisfaire seul. A vrai dire, ce n’est que ce qu’il souhaite sans toutefois l’avouer davantage, malgré qu'il soit marié. Une épouse qu'il ne reverra jamais à cause de la guerre.
Mais l’aura pleine de grâce et de force autour du personnage de Nishi entraînera la mort d’hommes qui auront tôt ou tard remercié l'ange qu'elle est : le soldat manchot lui écrira une lettre avant de se suicider parce qu’il ne pourra à présent plus jamais vivre avec une femme aussi marquante qu’elle, le soldat « violeur » repartira au front avant de se faire amputer, et malgré l’excès de bonté de Nishi visant à lui faire une transfusion de sang, ce dernier ne résistera pas aux blessures de guerre. De même, son rôle auprès du docteur Okabe est crucial car ce dernier n’éprouve plus rien pour les femmes. Seule sa dose quotidienne de morphine l’aide à oublier les jambes qu’il ampute et les cadavres que l’on entasse. Mais Nishi, impressionnée par cet homme au caractère si bon qui ne demande rien d’autre que sa présence auprès de lui le soir, en tombera amoureuse et fera tout pour l’éloigner de sa dépendance. Lors d’une magnifique séquence, ce dernier acceptera un soir d’être ligoté pour que sa crise passe, et Nishi, agrippée à ce corps furieux et déchaîné, résistera de toutes ses forces comme pour montrer tout l’amour qu’elle a pour ce dernier. L’équivalent d’une scène de sexe. Mais face à la guerre qui déverse ses horreurs jours après jours, ces moments de grâce ne sont que de simples éclaircies, le film étant d’un pessimisme et d’un désespoir affolant.
Toujours traité avec grâce et dignité malgré les visions abominables qui parcourent le film du début à la fin, Masumura aura filmé le sublime même dans l’horreur la plus pure. Un peu comme Kurosawa Akira avec Barberousse, où la maladie et la bonté des hommes se côtoient. Il aura aussi donné à Wakao Ayako, sa muse incroyable, un rôle formidable. Un grand rôle de femme dans une société dont on sait le machisme. Une femme qui impressionne par sa volonté et son abnégation, qui réussit paradoxalement à s’imposer par le sacrifice –la transfusion sanguine du soldat « violeur » contre une nuit passée avec le docteur Okabe- tout en restant toujours digne. Formidable prestation. Remarquable score lancinant et répétitif –à l’image de celui de La Femme de Seisaku - offrant au film un caractère à la fois mélodramatique et pessimiste grâce à ses violons graves et ses flûtes égarées. A vrai dire, L’Ange rouge est de ces réussites presque parfaites, où l’alchimie entre des prestations d’acteurs formidables, une réalisation de haut-vol et une peinture des horreurs de la guerre aboutissent finalement à un résultat plus que remarquable. Aussi difficile que parfois renversant de beauté.
Certes, il s'agit là d'un film de guerre, particulièrement puissant et dérangeant, il est vrai. Néanmoins, il ne faut pas négliger l'autre asect de ce film qui est aussi une superbe réflexion sur la notion de chair: que ce soit l'amour charnel auquel se rééduque le défaillant médecin; la chair à canon qu'étalent les scènes d'opération sans pudeur car justement la chair ne s'appartient plus vraiment dès lors qu'elle est morte, ou encore cette chair qui, au plus haut degré du martyre ne veux pas mourir et laisser s'échapper la promesse du plaisir.
Parceque les soldats sont ceux qui touchent au plus près de la mort ils sont ceux qui goûtent le plus pleinement l'exigence de la chair.
Un nouveau regard sans compassion sur les conséquences néfastes de la Guerre (au Japon). Le premier tiers du film est d'une force inouïe, débutant sur le viol d'une infirmière (particulièrement innocente) par toute une chambrée d'infirmes dans un hôpital de guerre; puis enchaînanant sur des opérations inhumaines en temps de guerre - une vértiable boucherie. Le Noir et Blanc désamorce la couleur du sang giclant en abondance, mais qui renforce le côté morbide.
L'infirmière pense réaliser de bonnes choses en couchant avec ses malades, mais tous finiront par mourir. Déclenchant sans doute des souvenirs refoulés, elle pense trouver l'amour et un paternel en la personne d'un chirurgien, accro de morphine.
Métaphore de la perversion d'une guerre, l'innocence de la jeune femme est totalement bafouée et même en cherchant de faire le bien, elle ne rencontre que la mort. Pamphlet très dur, la violence psychologique est légèrement désamorcée dans la seconde partie du film, plus porté sur l'amour impossible. Reste, qu'il s'agit d'une oeuvre très forte à la portée moins philosophique que dans ''La Condition de l'Homme'', mais tout aussi spéctaculaire pour son époque.