Dans un cinéma asiatique qui ignore de plus en plus les frontières, Li Ying a réussi à trouver sa place : Yasukuni est une coproduction sino-japonaise. C'est son quatrième long métrage mais il l'a commencé au début de sa carrière nippone, en 1997. Depuis, il affirme s'être rendu au sanctuaire une fois par semaine. Il a raconté au quotidien Asahi que cette assiduité avait attiré l'attention malveillante des autorités de Yasukuni, qui ont fait plusieurs tentatives pour lui confisquer caméra et pellicule.
Mais sa persévérance a été payante, son film a l'épaisseur des années qui passent. Li Ying a choisi pour fil conducteur le personnage de Naoji Karyia, le dernier forgeron du sanctuaire. On voit ce vieillard de 90 ans forger un sabre comme il l'a fait pendant des décennies, contribuant à équiper les officiers des armées d'occupation japonaise dans toute l'Asie.
En une séquence qui est probablement la plus intense du film, Li Ying tente d'arracher au forgeron une réaction en montrant une "une" de journal japonais de 1937 qui célèbre un concours à qui coupera le premier cent têtes de Chinois, organisé entre deux officiers stationnés à Nankin. Le vieillard refuse avec obstination de se prononcer.
Les séquences passées dans l'intimité du forgeron alternent avec celles saisies aux abords du sanctuaire. S'y croisent et s'y heurtent les anciens combattants et leurs épigones nationalistes d'une part, les antimilitaristes, les pacifistes et les enfants des malgré-nous de Yasukuni. Venus de Taïwan ou d'Okinawa, ces descendants de recrues de l'armée impériale font valoir aux responsables du sanctuaire que leurs pères ou grands-pères ont été engagés de force et demandent à ce que leurs mânes soient sorties de la liste des héros célébrés à Yasukuni.
Au long de ces deux heures on voit aussi un Américain en goguette venu apporter son soutien au premier ministre Koizumi (mais les militants nationalistes japonais le chassent sans ménagement) et un jeune pacifiste japonais pris en chasse par un groupe d'extrême droite qui l'accuse d'être chinois. Depuis sa première à Pusan, Yasukuni a été projeté dans les festivals de Hong-Kong et Berlin. Pour l'instant, sa sortie en France n'est pas programmée.