Puchon 2010 (Corée) pour tous les goûts


confessions1.jpg Puchon est le deuxième festival de Corée, entre Pusan (premier, en octobre) et Jeonju (troisième, en mai), en terme de fréquentation et réputation, mais aussi pour son contenu. D’un côté, une envie de tutoyer Pusan avec quelques avant premières, stars locales et invités étrangers (cette année, Jaco Van Dormaël, une pelletée de japonais) et de l’autre, un côté très modeste, provincial, convivial, avec un petit marché de coproduction bien loin des gros calibres de Pusan, et des fêtes où tout le monde se retrouve et finit dans le même bar, comme Jeonju.

Sur le fond, Puchon est censé être un festival du film fantastique
, ou tout au moins de genre, comme Gerardmer ou Sitges. Mais c’est là que le festival se situe aussi entre Jeonju (à la programmation ciblée petits auteurs, cohérente) et Pusan (qui ratisse tout ce qui passe du moment que c’est du auteur lourd), parce que la programmation n’a aucune logique d’ensemble. Les sections « World fantastic Cinema » et « Vision Express » sont remplies de dizaines de films sans grand rapport. Il y a même une section Films de Famille, pour que bambins rentrent pas par inadvertance dans une boucherie zombie. Reflets de contradictions auxquelles est soumis le festival de la part de ses sponsors.

 Bedevilled Dans le détail, on trouve bien de l’horreur, de la science fiction, du polar, mais il semble que pour être à Puchon, il suffit d’un mort, un flic, du surnaturel ou n’importe lequel truc qui peut, pendant quelques minutes, faire dire que c’est du « film de genre », autant dire qu’on trouve vraiment n’importe quoi. J’ai pas voulu tenter le pire de la barback, mais j’ai testé le pire du cinéma d’auteur, que Jeonju a du refuser : prenons les deux coréens Encounter et Red, ridicules d’auteurisme cliché, on se demande comment ils ont pu être réalisés, comme un prod y a cru, comment ils se retrouvent sélectionnés, et en quoi ils sont « film de genre » à part le genre « atroce ». Pour le meilleur, à Puchon on trouve des films que ne sont pas de genre mais on s’en fout. Les films les plus notables sont, c’est enfin logique, dans une compétition internationale qui semblait de bonne tenue (il y avait Nicolas Boukhrief aussi), et les trois meilleurs sont au palmarès. Le film dont la place était la plus évidente, le gagnant du grand prix, c’est le local de l’étape, Bedevilled.

Coréen révélé à la Semaine de la Critique de Cannes, Bedevilled (2010) , premier film, avait été un peu survendu pour justifier sa sélection cannoise (on m’a sorti un « Kim Ki-duk première période filmé comme du Immura »), mais cela reste pas mal, peut être l’exemple de film d’horreur coréen le plus convaincant depuis des lustres. Et mieux que ça parce que ce n’est pas qu’un « slasher »., ça c’est la dernière demi-heure du film : une fille furax slashe tout le monde. Comme le film fait une heure et demie, le mérite du réalisateur est de raconter bien autre chose avant, et de rendre justifiée le slashage. Il filme bien une île somptueuse (c’est pas Immamura, le style se cherche, mais n’est pas dégeu), fait le portrait de dégénérés assez savoureux et offre à son actrice un grand rôle de fille de la campagne qu’il fallait pas prendre à ce point pour une conne (sinon : slash).

bedevilled.jpg Bedevilled est surtout encore plus intéressant pour sa première demi-heure à Seoul, très réaliste, faisant le portrait d’une working girl froide, employée de banque, qui rappelle un peu la postière de This Charming Girl (2004) , sauf que cette employée là a perdu tout son charme et sa capacité d’émotion. La confrontation entre les deux personnages est intéressante théoriquement, seulement elle rate en principe : la première est délaissée au profit de la deuxième, le film réaliste part en cliché slasher, le film de Seoul va sur une île et ces deux films ont du mal à exister ensemble. Cette tentative de mélanger deux tons, deux genres, est typiquement coréenne, mais il n’est jamais facile de confronter un genre balisé (le slasher vengeance) avec d’autres. Bien tenté tout de même, prix mérité.


Bedevilled aura pourtant été éclipsé par une vraie révélation, le japonais Confessions (2010) de NAKASHIMA Tetsuya. Ce réalisateur a fait un Memories of Matsuko (2006) de bonne réputation (pas vu) et Kamikaze Girls (2004) , fun, certes, mais pas bien impressionnant en terme de mise en scène. Rien qui prépare à Confessions, exercice de style ahurissant, orchestré par un véritable maniaque du montage, qui est d’une précision folle, avec des milliers de plans d’une durée allant peut être d’une seconde à dix minutes. Le film est d’une incroyable variété narrative, tout en gardant une ambiance de sourde angoisse, de violence sous-jacente dans une école japonaise. Nakashima démarre avec une figure de style qu’il va tenir pendant 15 minutes et finit par nous hypnotiser : tout semble ralenti, flottant, mais sans être chichiteux, une sorte de rythme idéal, imprimé par le discours très posé d’un professeur. Ce qu’elle dit étant une bombe lâchée dans sa classe, on se doute que le film va exploser. Effectivement, la narration s’éclate, se démultiplie en utilisant toutes les formes de communication modernes, allant jusqu’au bord de l’image subliminale (comme ces SMS ultra rapides). Il épouse parfaitement la mentalité de ses héros, jeunes adolescents dopés à la vitesse, l’image, l’instantané.

confessions2.jpg La thématique de Confessions reste très japonaise, très cliché, la guerre entre les générations, mais Nakashima lui donne une énergie très moderne, sur fond de choix musical assez exquis, du post-rock indé. Comme les meilleures morceaux de ce genre, cela culmine en un opéra furieux, laissant le spectateur sidéré. Pas sûr d’avoir tout saisi, un peu l’impression de s’être fait manipulé c’est sûr, reste que l’expérience est mémorable. Le film était au marché à Cannes et a échappé au grand festival, dommage, il avait vraiment ce calibre pour rappeler que le cinéma japonais peut encore sidérer, et est un exemple très réjouissant de folie artistique. Le film est fait au sein d’un studio, a dû couter un bonbon vu la qualité technique, on se demande quel bug dans la production standardisée a permis cette carte blanche totale à un réalisateur déchainé.

Le Japon proposait aussi, entre autres (il y avait une floppée de japs), une version « live » du très beau dessin animé La traversée du temps, reconverti, du moins à Puchon, en Time Traveller, the girl who leapt through time . Titre un poil long les gars, quand même, vous avez collé celui du manga plus celui de l’anime… On est allé voir le film pour le souvenir de l’anime, et on en est ressorti en se demandant de quoi on se souvenait pour que l’impression soit si différente. L’anime de HOSODA Mamoru était assez simple, plein de petites touches charmantes sur la vie d’une lycéenne et marqué par des running gags excellents, notamment le letimotiv d’un casse-gueule à vélo devant un passage à niveau. Il semble que le film suit la fille de l'héroïne du manga, d'où différence, les puristes sauront surement lequel est le plus fidèle au manga et roman japonais original. Il parait qu'il y a aussi un film live en 1981. L’intérêt est d’avoir des films très différents.

time traveller close.jpg Le « live 2010 » est une grosse production populaire qui fait vraiment beaucoup penser à un Retour vers le futur pour les filles (l'orignal américian étant plutôt "burné" :-). La majeure partie se passe dans les années 70, l’héroïne étant à la recherche d’un homme pour sa mère, et c’est l’occasion de s’amuser avec tous les codes de l’époque. Les looks babos, oui, mais aussi un hommage à la cinéphilie idéaliste des filmeurs en super 8, fans de Godart ou, là-bas, peut être Oshima, et à la science-fiction alors naissante en littérature, qui occasionna nombre de titres mythiques (Star Wars pour résumer). Car notre lycéenne tombe (littéralement, c’est le principe du film) sur un réalisateur qui fait un long métrage de science-fiction. Il bricole ça dans sa chambre, filme ses amis, c’est pathétique mais très mignon. C’est exactement le même type d’histoire que le segment Tokyo! (2008) réalisé par Michel Gondry, qui s’était lui même inspiré de la tradition de bricolage dans les blockbusters japonais. Mais, ici, c’est en version longue, vraiment très réaliste, savoureux pour quiconque aime le vrai cinéma, celui des passionnés un peu branques. Autre atout du film, autant l’avouer, c’est son actrice, NAKA Riisa (Zebra Queen de Zebraman 2: Attack The Zebra City (2010) Zebraman 2: Attack The Zebra City ). Hyper mimi, évidemment, mais chose bien plus rare chez une japonaise, qui a un caractère bien trempé et joue avec subtilité. Elle porte le film et l’ensemble, même si très formaté, très japonais avec tous ses défauts, est vraiment agréable.

vlcsnap-2010-06-04-12h12m38s130.jpg Autre bonne surprise, Fire of Conscience (2010) de Dante LAM Chiu-Yin , réalisateur encore très méconnu en France et en dehors de ces pages, mais qui mérite reconnaissance. Fire of Conscience a certes quelques moments foireux typiques des films de Hong-Kong en roue libre, fait trop vite et à visée commerciale. En gros, dès que le film creuse son intrigue sentimentale, il vire au mauvais drama. C’est aussi un polar de Hong Kong, c’est à dire avec une histoire quasiment écrite d’avance, celle d’un policier qui se confond avec un gangster, ici un bon flic mais qui a des problèmes de conscience. Le plus intéressant est lorsque Dante Lam oublie les clichés, la sauce larmoyante, pour se concentrer sur son héros, flic fatigué, lourd, qui va lentement, parle peu, porte le poids de sa tristesse, façon années 70. L’acteur est convaincant et Dante Lam prend son temps pour bien le filmer. Il finit en orchestrant une véritable descente aux enfers, dans des décors rougeoyants, cernés par le feu (rédempteur) qui obsède le héros.

water babes.jpg  The Fantastic Water Babes (2010) est un autre représentant typique du cinéma Hong-Kongais, cette fois versant comédie loufoque,
ce qui implique évidemment qu’on descend de quelques étages dans l’ambition cinématographique, qui est au niveau du titre. Seulement, justement, gros hic, pas de « fantastic babes ». Les trois héroïnes sont atroces. Pour le dire franco, ce sont des cageots. Enfin Gillian Chung elle se défend en maillot de bain, seulement elle est affublée de lunettes moches pour renforcer le côté plouc, minaude des mauvaises scènes, la bétise finit par l’enlaidir. A côté, ses deux meilleurs amie sont volontairement des grosses poufs. C’est très misogyne de dire ça, mais Fantastic Water Babes, tu penses film de l’été, jolies nanas en bikini, équivalent Hong-kongais de Waterboys, tu penses pas cageots et lunettes, non ? Le mec il est moche aussi en fait, bellâtre en plastique, qui lutte contre la bétise, vu ce qu’on lui fait jouer (le bellâtre justement, le pitre, le souffre douleur…). Bon, c’est parfois drôle, et le film fait le portrait d’un quartier de Hong Kong très picaresque, où les gens semblent finalement tous beaux, parce qu’ils sont gais et d’une énergique dévastatrice.

Un autre film semblait de Hong Kong, avec son énergie urbaine, son scénario de polar série B,  c’est un film de Singapour, Kidnapper (2010) , histoire d’un père confronté à un kidnappeur sadique. C’est réalisé avec quelques dollars, donc il lui sera beaucoup pardonné, reste que le film rate son effet « nerveux fauché » en se voulant trop commercial avec sa grosse musique, ses effets de scénario mélodramatique, son méchant qui tente le grand rôle de composition pour finalement surjouer le psycho amateur.

family.jpg On préfère le modeste sud-coréen Sin of a family (2010), un des exemples de film atterri à Puchon juste parce qu’il y a des flics qui mènent une enquête. L’enquête en question est passionnante, basée sur une histoire vraie, originale parce qu’elle traite de la difficulté de supporter un enfant handicapé. Le film colle au plus près de ses acteurs, tous très justes, de l’histoire, réaliste et forte. Il pêche peut être par excès de modestie, mais fait mouche dans ce que le cinéma coréen réussit de mieux : du réalisme, montré sans coquetterie, avec un bon équilibre entre l’énergie et une certaine lenteur qui permet de laisser vivre.

Tout aussi modeste et bien fait, Bestseller (2010 , film d'horreur série B, qui était déjà sorti au printemps en Corée, a cependant les défauts de tous les films d'horreurs coréens commerciaux : une narration foutraque et des effets faciles. Le film démarre bien, sobrement, puis devient très cliché, puis très n'importe quoi.

Un autre film coréen rappelle aussi la diversité et vivacité du pays, The Uninvited (la petite photo en haut à droite), film réalisé avec quelques poignées de wons, des potes, de la 3D sur ordi pourri, et peut être pas que du soju comme carburant, parce que ça délire sévère. Trois colocataires, deux qui glandent rien et un qui cherche à passer un examen de droit, reçoivent un paquet Fedex inconnu. Quand ils l’ouvrent, cela fait naitre un affreux bonhomme noir, qui parle anglais, symbole de l’hyper capitalisme, qui leur dit en gros qu’il doivent donner leur vie au grand capital. Puis la bicoque part dans l’espace, et le film va loin dans le n’importe quoi. Les effets spéciaux sont cheapissimes mais le film ne se prend pas pour ce qu’il ne peut pas être. Il est à l’image de ses héros, et de son réal, Lee Eung-il, modeste, sympa, et en même temps qui tente de dépasser les clivages. Il réussit au moins un film drôle, qu’on avait jamais vu auparavant.

clash 2.jpg Enfin, toujours rayon inédit, rangée curiosités, le festival présentait un blockbuster vietnamien, Clash (2009). Un film de kung-fu local avec une bombasse comme héroïne, qui se laisse voir et tente même d’avoir du style, même si c’est dans un genre pompeux qui pèse. C’est bien foutu, il y a quelques moments amusants puisque les grands méchants sont des français ultra beaufs qui s’en mangent plein la gueule par une petite viet : c’est de bonne guerre. Cela fera la joie de la compète Action Asia de Deauville et des geeks du genre, et c’est une carte de visite nickel pour le Vietnam, le film étant bien local et très professionnel.

Les on-dits ne m’ont rien signalé d'autre film immanquable, ou des films non asiatiques qui sont sûrement très bien dans le genre (le buzz Serbian film par exemple) mais ne sont de toutes façons pas trop ma came. Puchon réussit donc tout de même à satisfaire un peu tout le monde, pour peu qu’on cherche un peu et se renseigne bien pour éviter de tomber sur la moitié des films merdiques casés là pour faire du chiffre. Et si les fantastic babes de l’été sont pas sur l’écran, elles sont dans la rue, et vous faites un tour à Seoul (une heure), vous allez boire un verre, vous tapez l’incruste dans la petite soirée du jour, il y en a décidemment pour tout les goûts.
date
  • octobre 2010
crédits
Festivals