Festival de Pusan (Corée) Piff 2004

Pour qui aime les films asiatiques vierges de toute rumeur, l'effervescence des coréens, les rencontres en franglais et les nuits de quatre heures à répétition, le festival de Pusan, en Corée du Sud, est un paradis.



PUSAN est la deuxième ville de Corée du sud, ce qui lui fait tout de même trois millions d'habitants (il faut dire que Seoul en fait 12), et elle a une culture bien à part, racontée par exemple dans le film Friend. On peut dire que c'est le Marseille de la Corée. D'ailleurs il y a pleins de taxis. Fausse blague, il y a des taxis partout en Corée, plus sérieusement, Pusan est un immense port cosmopolite (le quartier "Russe" est celui des prostituées) au pied de petites montagnes, on y parle avec un accent parait-il très prononcé, et il y fait plus chaud, le tee-shirt en octobre, c'est faisable. Plus précisément, la ville fait l'effet de toute la Côte d'Azur ramassée en une seule ville tentaculaire, trouée de partout, charmante malgré son gigantisme.

Le plus grand festival de Corée -et maintenant d'Asie puisque les concurrents sont moribonds- est né ici entre autres parce que ça a son petit côté Festival de Cannes. Les institutions et le cinéma coréen ont tout de suite mis le paquet sur ce bébé, d'ailleurs la première édition reste encore invaincue en terme d'entrées. La renommée du festival est allé de concert avec la success story du cinéma coréen et l'ouverture de la Corée au monde. Il avait lieu au départ dans le quartier festif et jeune de Nampodong, puis il s'est senti à l'étroit et est allé de l'autre côté de la ville vers la plage de Haeundae, quartier riche en perpétuelle évolution. Tout le festival sera ici à l'avenir, au risque qu'il se coupe du public populaire pour être un gros rendez-vous huppé.

Pour l'instant, c'est peut être l'idéal. Il y a des grands palaces et c’est presque l’été comme à Cannes, même début octobre, mais on loge a deux pas du festival dans des hôtels pas chers et classes. Sur la grande plage, entre des sculptures modernes installées à l'occasion d'une biennale d'art contemporain, le soir, le grand jeu est de faire pêter des feux d'artifices et le matin, on croise des classes d'enfants. Dans les fêtes VIP en France, on se cogne aux malabars en uniforme, à Pusan, on entre avec les sourires des bénévoles. On y croise nationalités et générations, on y boit la bière au pichet, et sur la piste de danse se déchaine le directeur du festival, l’incontournable Kim Dong-ho, pas cul-pincé pour deux wons, assorti d'une réputation de sacré buveur. Il surveille régulièrement le bon déroulement des séances, il est partout, à croire qu’il s’était cloné. Autre bonheur, l’enthousiasme des jeunes cinéphiles coréens. Il n’y a pas que Tony Leung ou les starlettes locales qui les attirent, n’importe lequel réalisateur est accueilli par une franche allégresse. Theo Angelopoulos a rempli les salles, c'est dire...

Le journaliste parisien, même d’une si petite chose comme Cinémasie, sent vite un vent de sympathie autour de lui (« Ah, Paris... »). Comme en plus on retrouve en plus moults connaissances s’intéressant forcément à la même chose que nous (le cinéma asiatique et la Corée), un peu comme « le rendez-vous des gens biens », nous voilà avec un bottin de joyeux souvenirs.

Si on ne fera aucun reproche à ce festival ici, ce n’est pas parce qu’on ne veut se faire bien voir, non, c’est juste que si défauts il y a, il faut les comparer honnêtement avec l’âge de la manifestation et non pas avec d’autres festivals importants dans le monde : Pusan est un gamin de neuf ans, en pleine crise de croissance, qui essaye de tutoyer les grands adultes (Rotterdam notamment) mais a des os encore fragiles. Cette année, le festival a été débordé par l’afflux d’invités étrangers et tout le monde a pesté contre une billetterie énervante, souvent absurde. Mais avec une franchise toute coréenne, le staff reconnaît tout ça. Pusan fait comme il peut, l’effort fait plaisir a voir.

Bon d’accord, le soju, les sushis, serrer les paluches c’est cool, mais vous avez bossé ? On est pas peu fiers, le duo de Cinémasie, d’avoir vu TOUS les films coréens du festival, beaucoup de japonais aussi et d’avoir eu du flair pour les plus prometteurs. Et puis on a cogité, d’où ce compte rendu sérieux, pour rendre hommage à un festival haut de gamme. Impossible de traiter les plus de 200 films présentés, dont certains déjà bien connus ici, d’autres pas du tout asiatiques (mais bravo de les faire découvrir au public coréen), et enfin tous ceux qu’on a pas vu !

DES INVITES PRESTIGIEUX Wong Kar-wai, Tony Leung, Hou Hsiao-Hsien, Apichatpong Wheerasethakul...

2046 faisait l’ouverture du festival et Hou Hsiao-hsien était l’invité d’honneur, pour une Master Class et la présentation de son dernier film, Café Lumière. Quand à Joe, tel qu’il préfère se faire appeler plutôt que d’entendre tout le monde se vautrer en essayant de prononcer son nom, c’était le président du jury "New currents", accompagné bien sûr de sa contagieuse Maladie Tropicale.



2046
Conférence de presse de Tony Leung et Wong Kar-wai
Café Lumière
Maladie Tropicale

LA COREE ET LES COREENS

Deux sujets traversent les bons films coréens découverts au festival : d’abord la culpabilité par rapport à un passé trouble, dans R-Point (sur la guerre du Vietnam) et La pègre (le dernier Im Kwon-taek, qui fait un cours d’histoire original mais peu accrocheur), mais l’histoire de la Corée a toujours été un terreau fertile pour le cinéma local. La nouveauté de cette année sont... les coréens.

C’est idiot à dire, mais ces derniers temps, le cinéma coréen a plutôt épaté le monde par ses révolutions stylistiques, ses mélanges de genre et a pu se réfugier dans un petit monde assez formel. La réalité, la pauvreté de nombreux coréens, ne faisait qu’irruption dans des films opulents ou métaphoriques, et toujours de façon hyper-violente (A Good lawyer’s wife, Oasis, Oldboy...).

Les auteurs les plus côtés du moment, Kim Ki-duk et Park Chan-wook, continuent dans cette tendance, mais les intrusions de "la rue" ne sont plus des intrigues périphériques, c'est le sujet du film. On a été vraiment été bluffé par le dernier Kim Ki-duk, Bin Jip, stupéfiant poème presque uniquement visuel, par contre le dernier Park Chan-wook, un des trois courts du triptyque Three : Extremes (aux côtés de Fruit Chan et Takashi Miike), est au bord du détestable. Le golden boy cannois semble avoir perdu sa verve anarchiste au profit d’une seule virtuosité maligne.

Un souffle bien plus important est apporté par cinq petits films, tous des premières oeuvres. Ils amènent des gens qu’on ne semblait jamais avoir vu : les jeunes désœuvrés de My Generation (le film le plus courageux de Pusan ?) et Bad Utterances (dans une veine similaire mais moins radical), les illuminés bohèmes de So Cute (croisement des premiers Kim Ki-duk et Kusturica, à surveiller), les orphelins obèses de Shin Sung-il is missing (un OFNI), et, surtout, la postière de This Charming Girl (ci-contre). Ce film touchant dans une tradition plutôt européenne, avec une actrice stupéfiante, a remporté le prix New Currents (meilleur première oeuvre asiatique) et devrait être un prévisible chouchou des festivals occidentaux. Comme on est des cracks, c’est le réalisateur de ce film qu’on a interviewé.

Autre nouveauté en Corée, la comédie policière, genre plutôt HK ou américain, avec le sympathique The Big Swindle. C’était le film commercial le plus réussi de la sélection, car d’autres produits qui plaisent aux coréens ont laissé les autres festivaliers perplexes : Someone Special et My Mother, the Mermaid ont des qualités mais trop de ratés, Spin Kick et The Wolf Returns sont des sous-produits qu'on n'est pas censé voir dans un festival.

Quand à The Scarlet Letter, de Daniel H. Byun (Interview), film prestigieux, ambitieux, présenté en clôture, c’est, de l'avis général, un ratage qui vaut quand même pour ses acteurs. La sélection coréenne reprenait enfin Samaria et Oldboy, les valeureux soldats revenus victorieux des festivals internationaux, et La femme et l’avenir de l’homme, que bien peu de coréens ont aimé, jugeant que Hong Sang-soo devrait changer de disque.

This Charming Girl

Interview du réalisateur, Lee Yoon-ki

Bin Jip

My Generation

So Cute

Bad Utterances

Shin Sung-il is Missing

R-point

The Big Swindle

The Scarlet Letter

Three : Cut

Someone Special

My Mother, the Mermaid

Spin Kick

The Wolf Returns



LE DOCUMENTAIRE regarde à gauche et vers le nord

Dernier exemple d'un interêt grandissant pour le réel, le festival présentait de nombreux documentaires. Ce genre est florissant en Corée, avec un ton souvent "engagé de gauche", dans un pays ou parler du monde ouvrier vous faisait vite passer pour un socialiste, un ennemi du Nord. La parole s'est nettement libérée maintenant. Ceci fera l'objet d'un dossier spécial par Gilles, mais notons deux films liés justement à l'inépuisable sujet de la Corée du Nord : Repatriation, sur l'intégration dans la société sud coréenne de nord coréens qui ne renoncent pas à leurs convictions, fait l'unanimité. L'anglais A state of mind, baptisé depuis Les demoiselles de Pyongyang pour une diffusion sur Arte, est un évènement qui divise. Cette première intrusion chez une famille nord-coréenne fascine mais peut être faut-il quand même réfléchir un peu sur la mise en scène "à l'américaine" de ce qui aurait pu être un chef d'oeuvre.

Repatriation
A State of Mind (Les demoiselles de Pyongyang)

RETROSPECTIVE DE COPRODUCTIONS COREE / HONG KONG

Dans la foulée d’un hommage à Chung Chang-hwa l’année dernière, le festival faisait une rétrospective de coproductions Corée / Hong-Kong des années 60 et 70. Tous les genres étaient abordés : horreur (l’amusant Black Hair), nanar "femmes en prison" (The Bamboo House Of Dolls, parait-il très hot), mélo (School Mistress, avec Li Ching), film historique (le somptueux Last Woman of Shang) et évidemment arts martiaux, avec notamment Hand of Death, un des premiers John Woo avec des débutants nommés Jackie Chan et Sammo Hung, ou le fantasque Duel to the Death.

Duel To the Death

Hand of Death

Last Woman of Shang

The Bamboo House of Dolls

School Mistress

The Goddess of Mercy 1967

The Rescue

When Taekwondo Strikes



LE JAPON TOUJOURS EN FORME

On pourrait faire un cycle avec les films japonais parlant de la communauté coréenne ou réalisés par des japonais originaires de Corée. On ne soupçonne pas, ici, l'animosité complexe entre ces deux pays que l’on croit si proches. Blood and Bones, de Sai Yoichi, dans lequel Takeshi Kitano joue un entrepreneur coréen au Japon, se charge de nous le rappeler mais, selon Gilles, avec peu de finesse. Par contre, We shall overcome someday, excellent teenage movie mâtiné de fresque historique, situé en 1968 contient d’étonnantes scènes de batailles de rue corréano-japonaises. 69 est situé, comme son titre le suggère, une année après. C’est un autre teenage movie, mais pas sérieux du tout comme seuls les japonais savent le faire. A ceci près que le réalisateur, Lee Sang-il, est d’origine coréenne.

On en aura jamais fini de puiser dans le cinéma japonais, capable de toutes les audaces et qui regorge d’auteurs attachants. Ainsi Shinji Aoyama, star d’un film, Eureka, mais plutôt un gros malin monté en épingle. Il s’est fait plaisir, et nous avec, sur son Lakeside Murder Case, une des premières mondiales les plus remarquées du festival. Et Miike, sacré Miike, parait-il nul sur Izo (pas vu) mais stupéfiant poète dans Box, du triptyque d’horreur Three : Extremes. Plus confidentiel, World’s End Girl Friend donne de charmantes nouvelles d’une actrice qu’on adore, Nakamura Mamie (la "Tokyo Trash Baby") et d’une femme réalisatrice qu’on aime bien, Shiori Kasama, mais qui manque un peu de force pour convaincre totalement. Survive Style 5+ tente le coup du trip psyché-délirant façon A taste of Tea. Certains ont adoré, ça nous a lassé. Même déception devant Hana et Alice, le très attendu nouveau film de Shunji Iwai. Ses fans, très nombreux en Corée, tombent en pamoîson, nous on avait laissé ce film en plein milieu au marché du film de Cannes tellement on ne voyait pas l’intérêt de ces amourettes collégiennes, sous les violons et les mouvements de caméra mous. Enfin la, heuh, chose Casshern en fait jubiler certains. On doit pas être sur la même planête. On a manqué quelques autres films, dont le manga Appleseed, qui aurait fait sensation.

Enfin Pusan était l’occasion pour les Coréens de découvrir le beau Nobody Knows.

Blood and Bones

We shall overcome someday

69

World’s End Girl Friend

Lakeside Murder Case

Izo

Three : Box

Survive Style 5+

Hana et Alice

Casshern

Appleseed

Nobody Knows

UN PANORAMA DE PRESQUE TOUTE L'ASIE

Rares étaient les pays asiatiques ayant une cinématographie non présents au festival. La MALAISIE, avec deux films (La magnifique machine à laver de James Lee et Sanctuary de Ho Yu-hang) commence à se faire une place et la THAILANDE est désormais incontournable. Retenez absolument Macabre Case of Prom Piram de Manop Udomdej, un des chocs du festival. Il réussit à raconter avec pudeur le calvaire inouï et véridique d'une fille violée à la chaine par des villageois en manque maladif de femmes. C'est un film populaire mais qui essaie à chaque plan de donner à penser. Lorsque Manop Udomdej filme la cavalcade grotesque de mâles en rut avides d'aller baiser un bout de viande, le film pointe, mais sans juger, un malaise profond, la fuite des femmes de la campagne vers la ville, entre autres à cause de la prostitution. Tout d'un coup la Thailande n'est plus un paradis du cul, mais un enfer d'hommes à jamais pervertis.

Plusieurs films CHINOIS/TAIWANAIS étaient présentés : notons la première mondiale de Jour et Nuit, de Wang Chao (L'orphelin d'Anyang), un film très exigeant dont on reparlera à sa sortie en France. Egalement le taiwanais Formula 17, comédie sur l'homosexualité qui a connu un immense succès dans son pays, mais ce n'est en fait qu'un téléfilm caricatural.

Et Pusan avait un nouvel exemple de la grande mode en Asie, le FILM "OMNIBUS" (un festival dédié à ce genre vient même de se créer à Seoul), constitué de troix moyens métrages. About Love a un taiwanais (de Yee Chih-yen, réalisateur de Blue Gate Crossing), un chinois (Zhang Yibai) et un japonais (Shimoyama Ten). C'est parait-il mignon. On a tenté de le voir en vidéo, mais la qualité était trop mauvaise.

Au passage, spéciale dédicace au sourire des deux filles de la salle vidéo, où on venait se réfugier quand on se faisait refouler des séances... Parce qu'un festival réussi, c'est un ensemble de petites joies quotidiennes. Ce qui fait une jolie conclusion. Khamsahamnida et anyeonggi gieseyo!

"Envoyés spéciaux" à Pusan : Yann Kerloc'h et Gilles-Maxime Chanial. Merci au service de presse du festival et au Seoul Net and Film Festival. Dossier réalisé par Yann K. Photos : Yann K et PIFF.

date
  • octobre 2004
crédits
Festivals