Interview Teddy Chen

Après avoir collaboré avec le studio UFO et réalisé quelques films d'action remarqués (Purple Storm, Accidental Spy, Downtown Torpedoes), Teddy Chen a créé son propre studio en 2002 afin de réaliser des films destinés au marché Chinois dans son ensemble (Chine, Taiwan, Hong-Kong). Nous l'avons rencontré pour discuter de sa carrière, de Jin Chuan Pictures, et de son prochain film, Dark October


François: Pourriez vous vous présenter brièvement et nous dire ce que vous avez fait avant de faire du cinéma?

Teddy: Mon nom est Teddy Chen. J'ai la quarantaine, et je suis né à Hong-Kong. J'ai fait mes études à Taiwan pendant quelques années au lycée puis je suis revenu à Hong-Kong. Mon premier travail a été de m'occuper des dauphins à Ocean Park, je crois que j'avais environ dix sept ans. Un jour, j'étais au bowling avec des amis, et sur la piste d'à côté, il y avait un réalisateur de séries TV très connu. Il s'appelle Chi Chiu-Ming, maintenant il travaille sur le câble. Il s'est approché et m'a demandé "Petit, ça te dirait d'être acteur?". J'ai répondu "Acteur ? Je ne sais pas jouer." Il m'a dit "Je pense que tu conviens pour mon personnage, dans ma nouvelle série TV". Alors j'ai pris deux jours de congés, et j'ai été tourner la série. Juste après ces deux jours de tournage, le réalisateur est venu me parler et m'a dit "Tu es sûr que tu ne veux pas continuer ? Je peux ajouter plus de temps pour ton personnage dans la série. Je trouve que tu es bon, tu peux devenir acteur". A cette époque c'était le plus grand réalisateur de série TV (sourire). Je lui ai demandé "Vous êtes sûr?". Il m'a répondu "Oui". J'ai démissionné d'Ocean Park et je suis devenu acteur. Ca a commencé comme ça.

F: Après ça, vous avez travaillé comme réalisateur assistant et producteur à UFO, et vous avez eu pas mal de succès avec vos films d'actions, Purple Storm, Downtown Torpedoes et Accidental Spy. Qu'est-ce qui les rendait différent de la masse des films d'action fait à HK à cette époque?

T: Je pense que c'est surtout le scénario, la partie dramatique, qui est la plus importante. Par exemple si vous prenez Le Syndicat du Crime de John Woo: je ne pense pas que vous puissiez vous rappeler des scènes de gunfights aujourd'hui. Mais vous vous rappelez encore comment Chow Yun-Fat revient, l'amitié, les scènes émouvantes. Chow Yun-Fat a dû partir, et il revient pour ses amis. C'est le plus important dans un film: l'aspect dramatique. C'est la première chose. Je travaille très dur la dessus, c'est pourquoi je suis assez lent.

Downtown Torpedoes

Et la deuxième chose quand vous faites un film d'action, c'est de bien communiquer avec le chorégraphe. J'ai appris au contact de Tsui Hark, de Ching Siu-Tung quand j'étais réalisateur assistant. Dans mon esprit, il y a 4 éléments qui doivent être bien pensés à chaque scènes. Les quatres maîtres mots sont Quand, Où, Quoi, et Comment.

Quand le combat va-t-il se passer? Un jour de pluie ? Le soir à la pénombre ? Quel moment de la journée. Où le combat va-t-il se passer? Par exemple, si vous dites seulement au chorégraphe "Ok, cette scène, je veux qu'il soit tué.", "je veux qu'il soit légèrement blessé, et ils se battent dans un bar". Dans ce bar, il n'y a que des tables, des chaises des bouteilles, ils ne peuvent rien faire. Et ensuite si vous lui dites "ensuite ils se battent dans l'escalier", et il n'y rien, qu'un escalier sur plusieurs étages. La première fois, le chorégraphe va écouter, et il va devenir fou "Comment veux-tu qu'on se batte là?". Alors vous pouvez dire "D'accord. Où est-ce qu'on devrait faire ces scènes alors? A ton avis?".

Ensuite "Quoi et Comment?". Ce sont deux choses bien distinctes. Vous voulez vous échapper. Quelle méthode allez-vous utiliser? Quel moyen de transport par exemple? Et si c'est une scène de vengance, les deux protagonistes se battent, quelles armes vont-ils utiliser?

Enfin Comment. Comment s'échapper, et comment tuer son adversaire?

Ces quatres éléments sont intimement liés les uns aux autres. Il faut réfléchir aux quatres à chaque fois. Par exemple, on part d'une scène de combat sur la plage. C'est le soir, un seul éclairage. Ensuite on peut déjà commencer à réfléchir aux mouvements. Où les mettre sur la plage? Est-ce la marée haute, basse? Quels armes, comment vont-ils s'en servir? On construit la scène de cette façon, vous voyez?

F: Oui. Et vous avez parlé de l'importance de l'aspect dramatique dans vos films d'action. C'est particulièrement vrai dans Purple Storm. Les deux personnages joués par Daniel Wu et Josie Ho existent autant de part leurs sentiments et émotions que de part leurs scènes d'action. Pouvez-vous nous pourquoi vous les avez choisis?

Daniel Wu dans Purple Storm

T: Je ne sais pas, d'une certaine manière j'aime vraiment utiliser de nouveaux visages. J'essaye de trouver le bon visage qui va coller au bon personnage. Bien sûr, si vous avez un excellent acteur, il peut jouer tous les personnages, c'est encore mieux. Pour Daniel, il est assez timide en réalité, il se cache toujours un peu quand il a beaucoup de monde autour de lui. Il s'assoit calmement dans un coin, il réfléchit plus qu'il ne parle.

Je pense qu'il convenait pour le personnage à cette époque. Nous voulions choisir quelqu'un d'un peu nouveau, et il était comme le personnage, il débutait tout juste dans le business, je pense que c'était son second film. Il était tellement nouveau qu'il ne savait pas vraiment quel genre de films il voulait faire, ou ce qu'il voulait faire de sa carrière. Il voulait juste apprendre. Et il ne pouvait pas lire le chinois, il ne lisait que l'anglais, donc quelqu'un devait lui traduire les parties en chinois, pour qu'il y réfléchisse. Et son personnage dans le film vient de l'étranger, du Cambodge, et Daniel arrivait tout juste à Hong Kong, donc je pense qu'il devait ressentir un peu la même chose.

F: Et pour Josie?

T: A cette époque, Josie avait beaucoup de colère en elle, car elle pensait qu'on lui avait donné une chance dans le milieu principalement à cause de sa famille et de son père. Au fond d'elle même, elle voulait se prouver qu'elle était elle même, Josie Ho, et pas à cause de sa famille. Je lui ai parlé, on prenait un verre de temps en temps, et j'ai ressenti cette colère. J'ai pensé qu'elle pouvait utiliser ce qu'elle avait à l'esprit et sur le coeur pour son personnage. Cela s'est fait très vite.

F: Et au sujet du film avec Jackie Chan, Accidental Spy. Il vient juste de sortir en France...

T: il marche bien ou pas ?

F: Pas très bien. Mais il a été coupé de presque 20 minutes, et on l'a affublé d'un poster très stupide. Qu'est-ce que vous pensez de ce genre de pratiques?

T: Je pense que tout le monde s'y fait. Dans tous les pays, la Turquie, l'Allemagne... C'est depuis que les Américains ont commencé. C'est quelque chose qui m'est toujours étranger, les concepts de la distribution. Vous avez vu le vrai poster du film?

French poster
Hong Kong poster

F: Oui bien sûr. Ils changent l'image de Jackie Chan. Les parties comiques trop Hong Kongaises sont supprimées. Vous trouvez ça respectueux? Quand Steven Spielberg sort un film à Hong Kong, on ne le coupe pas...

T: Si Jackie est ce qui est le plus important pour le film, et que cela ne le dérange pas... Parfois je pense de la même manière: on a fait notre job, nous avons fabriqué le film. Ensuite, ce que les distributeurs trouvent de mieux pour Jackie à Paris, ou en Turquie...

 
F: Parlons maintenant de Jin Chuan Pictures. Vous avez travaillé pour le studio UFO, et vous êtes aussi impliqué dans le studio Applause Pictures. Pourquoi avez-vous décidé de créer votre propre studio?

T: Je travaillais à UFO seulement comme réalisateur. Je m'y suis fait beaucoup d'amis, et à cette époque, je ne voulais déjà pas seulement faire des films Hong Kongais, je voulais vraiment faire des films asiatiques et plus précisément relier la Chine, Taiwan et Hong Kong. Pour faire des films en langue mandarine. Il y a tellement de talents, mais maintenant, ils sont tous éparpillés: des films Hong Kongais, des films Taiwanais, des films Chinois. Mais si on demande à quelqu'un aux Etats Unis: Tigre et Dragon, qui a fait le film? D'où viennent les acteurs? Pour moi, ils s'en fichent, tant que le film est bon. Je pense qu'Ang Lee pris un bon départ. Ensuite il y a eu Hero, équipe de Hong Kong, de Taiwan, de Chine...

Poster Hidden Track

A l'époque d'UFO, Peter Chan et moi étions de bons amis. Il pensait qu'on pouvait travailler avec les Coréens et les Thailandais, qui à cette époque étaient en plein boom. Mais je ne parle pas leur langue, c'est difficile pour moi de communiquer avec eux, et j'étais assez limité à l'époque, je pouvais simplement être réalisateur. Je ne savais pas gérer ce genre de projets entre plusieurs pays. Nous avons fait des connaissances, avec Lee Chang Dong en Corée, avec Nonzee, le réalisateur de Nang Nak, en Thailande. Mais je ne pense pas que je connaissais leur language cinématographique très bien. Par contre, j'avais des amis à Taiwan et en Chine. Nous voulions faire ce que je fais maintenant.

Ensuite, j'ai eu un financement de Taiwan. J'avais un diner avec eux, et je leur disais que je voulais faire des films à Taiwan, mais sans les appeler des films taiwanais. J'amènerais des gens de Hong Kong. A cette époque il était encore impossible de faire venir des acteurs de Chine, donc je voulais commencer avec des gens de HK d'abord. Donc nous avons passé un accord, j'ai eu le financement et j'ai créé mon studio. Mais à l'époque, Peter Chan voulait m'arrêter, parce que personne ne voulait faire des films Taiwanais. Mais je lui ai dit "Non Peter, je veux faire des films chinois, peu importe l'endroit". C'est pourquoi nous nous sommes séparés temporairement, et j'ai créé Jin Chuan. Mais nous sommes deux compagnies qui entretenons d'excellentes relations.

F: Taiwan, HK et la Chine, ce sont trois pays chinois, mais leurs cultures sont légèrement différentes. Est-ce facile pour vous de trouver le point commun, la vraie culture chinoise?

T: Tout d'abord, si je veux faire un film taiwanais parlant de la culture taiwanaise, je ne veux pas la dénaturer. Mais le dernier film que j'ai vu de Taiwan, c'était vraiment très grossier, ils n'avaient pas d'argent, et le réalisateur faisait tout, la production, le montage, la distribution. Donc si je vais là-bas pour faire un film, je ne serais que producteur. Et le réalisateur ne sera que réalisateur. J'amènerais également des techniciens de HK, de manière à rendre le film plus beau à voir.

 
F: Donc vous prenez le meilleur de chaque pays: HK pour l'action, des acteurs de Chine, etc...?
T: Oui. Je pense que la culture, les notions de famille, la façon d'aimer, les habitudes, c'est toujours très chinois, peu importe le pays.
F: Comment gérez-vous les problèmes de censure avec la Chine?
T: La situation s'améliore, la Chine est de plus en plus ouverte, mais pas d'un seul coup, lentement. Comme pour notre nouveau film, Hidden Track. C'est le premier film approuvé par le gouvernement avec des personnages chinois gays. Doucement, les choses changent. Même chose pour Dark October, je parle du docteur Sun Yat-Sen, le père de la révolution. Au début, ils m'ont dit "vous ne pouvez pas faire un film comme ça, parce que ce n'est pas la vérité, ça s'est vraiment passé ce jour là, mais...". Alors je leur ai expliqué pourquoi il y avait de bonnes raisons de faire ce film, et j'ai fait quelques changements. Ils ont accepté. Il ne faut pas trop en demander d'un coup. Mais doucement, une chose à la fois.

 

F: La plupart des productions de Jin Chuan sont réalisés par de jeunes réalisateurs. Y a-t-il une volonté que Jin Chuan soit un endroit où ils peuvent développer leur projet avec plus de liberté?

T: Pas vraiment, je ne vois pas les choses ainsi. Je vois un film de la façon suivante: si nous avons un scénario que toute l'équipe connaît et comprend bien, disons à 90%. L'équipe sait donc de quoi va parler le film. Alors on peut gagner beaucoup de temps, et tout le monde, dans chaque département, sait ce que le réalisateur veut faire. Et moi je sais à 99% ce que le réalisateur veut. Comment savoir si le film va marcher? J'ai appris ça de mes expériences passées. Comme ce sont de nouveaux réalisateurs, débutants ou travaillant sur leur second film seulement, ils ne peuvent pas répondre à cette question. Mais si le projet est bien compris de tous, alors on peut prendre une décision, comme nous connaissons tous très bien le sujet du film. Ensuite je leur laisse la liberté pour la réalisation.

F: Est-ce que vous vous sentez plus impliqué dans ces projets comme vous n'êtes plus seulement réalisateur, mais aussi le responsable du studio ?

T: Parfois, c'est très dur. L'hémisphère gauche de mon cerveau se bat avec le droit. Du point de vue du financier, j'entends "attention, le budget est serré, on va dépasser là!". Mais parfois du point de vue du réalisateur, j'entends "cette scène sera bien mieux comme ça, mais il faut un peu plus d'argent". Donc il y a parfois des conflits. Mais j'ai des personnes de qualité pour m'aider, pour faire la transition. Quand j'étais réalisateur pour d'autres studios, il y avait des producteurs qui aidait à faire la transition entre les différents éléments, de manière à ce que tout se fasse en douceur. C'est pourquoi j'ai embauché de bons producteurs afin d'avoir cette transition.

 
F: Comment voyez-vous le futur de Jin Chuan dans les prochaines années.
T: J'espère que nous pourrons également devenir un élément de rapprochement entre les films Taiwanais, Chinois et Hong Kongais, et qu'on pourra tous travailler ensemble.
F: La Chine pourrait devenir un marché assez énorme...
T: Je pense qu'il pourra y avoir deux sortes de films. Les films d'auteurs, et les films commerciaux. A mon avis il y aura de plus en plus de films commerciaux faits en Chine très bientôt.
F: Parlons un peu de deux de vos projects. Le premier va bientôt sortir, Hidden Track. Vous avez rencontré Aubrey à UFO je présume. Etiez-vous intéressé par son travail après Twelve Nights, ou bien est-ce elle qui est venue vers vous avec le projet Hidden Track?
T: Le plus important à nouveau a été le script. C'est une très bonne scénariste et Twelve Nights est un très bon film. Mais je voulais que Hidden Track soit un peu plus commercial. Que ce soit entre un film d'auteur et un film commercial. Donc je lui ai dit "Peux tu faire quelque chose qui rende les spectateurs plus heureux?". Elle aime beaucoup les drames, donc je lui ai demandé si elle pouvait essayer de changer cette fois. Si elle pouvait essayer, alors j'étais d'accord pour tenter l'expérience si le script était de qualité.
F: Avec la situation économique actuelle à Hong Kong, les gens veulent rire, ils ne veulent pas vraiment voir de drames, c'est compréhensible.
T: Je pensais justement que j'étais là pour divertir les gens. Beaucoup de personnes pensent qu'il faut faire des comédies à cause de la crise du SARS, et parce que les gens sont malheureux. Mais je ne suis pas d'accord. Si vous voulez faire un drame, il faut que cela soit un drame prenant, et que pendant cette heure et demi, vous pleuriez à mort, en utilisant six paquets de mouchoirs en papier. Alors vous penserez "il y a plus malheureux que moi finalement". C'est une forme de soulagement.
F: Vous pouvez donner de l'espoir par un drame, c'est ça?
T: Oui. Et si c'est un film d'horreur, pendant cette heure et demi, vous aurez très peur, et vous oublierez ce qui se passe au dehors. C'est également une forme de soulagement. Si c'est un film d'action, et que le film est bon, il y a de la tension, l'aspect dramatique est émouvant, il y a du rythme, etc... Bref: nous sommes des fabricants de rêves, et vous pouvez ainsi rêver pendant une heure et demi ou deux heures.
F: C'est pourquoi Running On Karma marche si bien au box office, c'est un drame, mais en même temps un film avec beaucoup de sens

T: Vous voyez, cela n'a pas d'importance, tant que le scénario est bon.

F: HIdden Track est réalisé par une femme, et il y a de plus en plus de femmes qui s'imposent dans le cinéma Hong Kongais. Que pensez-vous de cette évolution?

T: C'est quelque chose auquel je ne pense jamais. Le réalisateur pourrait être un gay ou une lesbienne. Cela ne me dérange pas. Tant qu'il y a une bonne histoire, et un réalisateur capable de la raconter, le reste m'importe peu.

 
F: Maintenant passons à Dark October. D'après ce que j'ai vu sur votre site internet, c'est un gros projet n'est-ce pas? Est-ce important pour Jin Chuan Pictures?

T: Pas seulement pour Jin Chuna, mais aussi pour moi. Car hors de l'Asie, aux USA par exemple, beaucoup de studios savent que je vais faire ce film. Donc s'il ne marche pas, Jin Chuan et Teddy Chen sont finis. J'essaye de monter ce film depuis 3 ans, après avoir réalisé Accidental Spy en fait.

F: Quel genre de film est-ce? D'après les dessins vus sur le site, il va y avoir des scènes d'action. Mais j'imagine qu'il n'y aura pas que ça?

T: Vous savez, la manière dont les films d'action sont fait, à Hollywood, dans n'importe quel pays, c'est toujours calibré. Scène d'ouverture: un combat. Dix minutes après: un petit combat. Au milieu du film: un combat plus important. juste avant la fin, petit combat, et boum, le final, gros combat. C'est calculé de cette manière. Comme on vient pour voir un film d'action, il faut qu'il y ait de l'action tout du long.

Mais ce film durera 2 heures, peut-être 2h30. La première moitié: aucun combat, du drame, de la tension, de la peur. Ensuite, deuxième moitié, des combats jusqu'à la fin. Je veux faire quelque chose qui ne respecte pas les règles.

F: Vous voulez que le drame soutienne les combats? Ne pas faire du combat pour du combat, mais pour une raison?
Dessin pour Dark October

T: Oui, ils attendent de pouvoir se battre, il y a une très bonne raison de le faire. C'est une longue histoire vous savez? Sur quatre jours en Octobre. Le film se déroulera du 11 au 15 Octobre, autour du Docteur Sun Yat-Sen. A cette époque, il y avait trois partis: les colons britannique, la dynastie Ching, et les révolutionnaires.

Les anglais ne voulaient aucun changement, ils souhaitaient la paix à Hong Kong, et ils ne voulaient pas froisser les Ching. Mais ils appréciaient aussi le père de la révolution, alors que pouvaient-ils faire? Ils ont arrêtés tous les gens qui étaient de son côté, en leur disant "Je crois que vous êtes des gangsters". Ils les ont maintenu en garde à vue pendant 64 heures, et après les avoir questionnés longuement, s'ils étaient innocents, ils les ont relâchés. De cette façon, il n'y avait personne pour protéger Sun Yat-Sen.

Mais pourquoi faudrait-il le protéger? Parce que la dynastie Ching voulait qu'il meure ce jour-là à Hong-Kong. Et à ce moment, il n'y avait que deux personnes pour le protéger, et ils ne savaient même pas utiliser un pistolet. Trois jours avant le 15, ils ont trouvé un mendiant, une actrice, et une troisième personne, qui n'avaient rien à voir avec la révolution. Certains d'entre eux ne savaient même pas pourquoi il y avait une révolution, ou qui était le docteur Sun Yat-Sen. Mais par amitié, pour se prouver quelque chose à eux-même, par amour pour un fils ou une femme, ils avaient tous une raison. La révolution n'avait pas d'importance.

F: J'ai trouvé quelques noms pour le casting, pourriez-vous me confirmer qu'ils sont bien dans le film: Chang Chen, Eason Chan, Tony Leung Ka-Fai, Jiang Wu, Elva Hsiao, Ekin Cheng? Et s'il y a d'autres noms?

T: Oui, ils sont tous confirmés, sauf Jiang Wu qui n'a pas encore donné son accord. Autrement, Eric Tsang sera un des deux hommes chargés de protéger Sun Yat-Sen. Il doit y avoir deux acteurs de plus, je pense que cela sera confirmé avant la fin du mois.

F: Ce n'est pas trop mal comme casting, il y a quelques grands noms.

T: Mais je veux voir le film de cette manière: je ne vais pas vendre un film comme un galerie de stars. Non. C'est un film sur un jour d'Octobre 1905. Le plus important est de reconstruire 1905 en trois mois. Nous allons reconstituer les rues de Hong Kong jusqu'à Queen Harbor. Comme dans Gladiator, pour montrer Rome à cette époque. Donc je pense que le plus important n'est pas le casting, mais plutôt ça: je vais vous montrer à quoi ressemblait 1905. De manière à ce que vous vous y croyiez.

Les décors de Dark October
(cliquer pour aggrandir)
F: Quel est le budget?

T: 9,2 millions de dollars US

F: C'est vraiment important pour un film Hong Kongais. Qui finance ce budget ? J'imagine que ce n'est pas Jin Chuan seulement.

T: Si, c'est Jin Chuan seul. J'ai les fonds derrière moi pour financer le film. Ce sont les mêmes que ceux de Taiwan dont je vous ai parlé auparavant, et cette fois j'en ai d'autres du Japon. Mais ce sont des fonds venant de banques, pas d'un investisseur.

F: Ce qui signifie que vous aurez les mains libres sur le film?

T: Oui, tout à fait. Avant je voulais vraiment travailler avec des studios américains. Mais pour eux, il n' a pas de grosse star dans le film, donc ils m'ont fait beaucoup de difficultés.

F: Eason Chan, Tony Leung KF, Ekin Cheng, ce ne sont pas des inconnus...

T: Pour eux, il n'y a que Jet Lee, Jackie Chan et Chow Yun-Fat. Et je ne veux pas faire un film de Jackie Chan. J'aime beaucoup Jackie, ce n'est pas une insulte du tout. Mais c'est un film qui parle de 1905.

Donc j'ai dit aux studios américains de venir voir des rushs après que j'ai fini le film. Il y avait 8 studios assis autour d'une table pour voir de quoi parle Dark October. Je leur ai demandé qui trouvait le film le plus intéressant. Et que c'était un film sur la protection de Sun Yat-Sen. Regardez l'histoire. Joignez vous au projet parce que vous aimez l'histoire, pas parce que vous aimez Chow Yun-Fat et vous voulez faire un film avec lui.

F: Etes vous triste qu'ils considèrent un film seulement en fonction de la star principale, plutôt que pour l'histoire?

T: Ils ont une position différente. Ils pensent business. Et moi, je veux faire un film décent que les gens apprécieront non pas à cause d'Eric Tsang ou Eason Chan. Mais bien sûr, s'ils participent au film, cela le rend meilleur.

F: Mais il faut tout de même rembourser le film, vous avez besoin d'un succès publique aussi.

T: C'est ce que j'ai dit tout à l'heure. Si Dark October ne marche pas, Teddy Chen est fini, Jin Chuan est fini, tout se casse la figure.

F: Vous avez travaillé plusieurs fois avec Stephen Tung, le chorégraphe. Est-ce important pour vous d'avoir un bon chorégraphe et de travailler avec le même à chaque fois?
Drawing for Dark October

T: En fait, il a beaucoup de talent. Il a sa propre boîte, et il sait comment la diriger, il connaît les problèmes financiers. Donc la plupart du temps, c'est très facile de communiquer avec lui. Par exemple, si nous avons 7 styles de combat dans une seule scène d'action, et on doit la tourner en 4 jours. Peut-on finir les 7 parties en seulement 4 jours? Si ce n'est pas le cas, alors il va me dire:

"Teddy, qu'est-ce que tu en penses? Quelles sont les quatre ou cinq plus importantes?". Alors je dirais "1, 3, 4, 6, 7", et nous ferons ces cinq là en premier, puis les autres s'il nous reste du temps. Il pense en terme de budget, c'est pourquoi il est si talentueux et qu'il peut également réaliser. C'est facile de communiquer avec lui et pas seulement pour les scènes de combat. Les scènes de combats contiennent des émotions et une partie dramatique, c'est pourquoi nous travaillons en faisant 100% confiance à l'autre.

F: Le casting ne contient pas de vrais artistes martiaux comme Jet Lee ou Jackie Chan. Pensez-vous qu'il sera difficile de les faire ressembler à de vrais artistes martiaux?

T: Je ne pense pas que cela soit un problème. Il y a des films d'action dans tous les pays. Est-ce que vous pensez que Chow Yun-Fat peut vraiment bien se battre comme dans Tigre et Dragon ? Je fais confiance à mon chorégraphe. Regardez dans mes films.

F: Le casting suivra-t-il un entraînement particulier?

T: Oui, mais ils n'ont pas encore commencé. Je dois d'abord reconstruire le décor pendant trois mois. On va commencer à mi-Novembre à Canton. Un ou deux mois plus tard, ils vont commencer à s'entraîner, parce que les cinq combattants ont chacun un style bien particulier. Donc ils doivent se préparer, au moins en commençant par les bases du kung-fu. Vous ne pouvez pas tout apprendre en un ou deux mois, donc ils vont juste apprendre leur propre style.

F: Quand comptez-vous sortir le film?

T: Le titre du film est Dark October

F: Compris. Et vous comptez le sortir à HK, Taiwan et en Chine en même temps? Et l'avez vous déjà prévendu à des distributeurs en Occident?

T: Oui, il sortira dans tous les pays chinois. Et je ne l'ai pas encore prévendu ailleurs. Mais je pourrais avoir un petit problème, car nous avons 540 plans à effets spéciaux dans le film, et il faut quatre mois pour les préparer. Si je respecte mon planning, je vais commencer à tourner en Mars et je finirai en Juin. Dans ce cas le film pourra sortir à temps. Sinon, il faudra le décaler pour Noël.

F: 450 plans à effets spéciaux? Qui va s'en occuper?

T: C'est une boîte appelée Menfond. (NDLR: Menfond s'occupe des effets spéciaux pour la majorité des films d'Andrew Lau)

 
F: Vous êtes dans l'industrie du cinéma HK depuis 20 ans déjà, donc vous avez connu un peu toutes les périodes. Que pensez-vous de la situation actuelle?

Teddy: Je pense qu'il y a eu beaucoup d'excès au milieu des années 90, Hong Kong faisait plus de 300 films par an à cette époque. Les investisseurs venaient vous dire "Quoi? Vous avez besoin de tout ça pour faire un film? J'ai rencontré un type qui peut le faire pour un tiers de votre budget. C'est bon, je vais le faire avec lui, laissez tomber". Et il y a eu pleins de films de qualité médiocre à cause de ça. Si vous voulez faire un gros film d'action, il faut avec un gros budget pour obtenir un film décent. Mais à cette époque, certains ne le savaient pas. "Eh, il vous faut un million pour faire ça, pas dix!".

Un autre point important, que j'ai oublié de mentionner dans les raisons pour faire des films avec Taiwan, c'est que le marché Hong Kongais n'est pas suffisant pour rembourser les films, spécialement les grosses productions d'action qui coûte plus de vingt millions. Mais il y a un marché appelé Taiwan. La plupart des recettes de la fin des années 80 au début des années 90 venaient de Taiwan, il y a un gros marché là-bas. Mais ensuite les VCDs pirates sont apparus. Ca a commencé à Taiwan. Pas exactement avec les VCDs pirates, mais avec les chaînes de TV pirates. Ils volaient les films, ensuite il suffisait de payer 600 dollars Taiwanais pour voir le film le même jour que la sortie au cinéma chez soi. Ils tiraient un câble jusque chez vous, tout simplement. Ensuite la police venait couper le câble, et deux heures plus tard, un nouveau câble arrivait pour vous rebrancher. Et le marché a commencé à baisser, sans que le gouvernement ne sache que c'était si dangereux. Quand ils ont voulu l'arrêter, c'était trop tard, les pirates avaient déjà "éduqué" le public: "On peut faire des VCDs pirates, plus besoin de câble".

Le piratage s'est alors développé, à Taiwan, en Chine, en Malaysie, à Hong Kong. L'épidémie s'est propagée. Le marché a commencé à diminuer. A Hong-Kong, il y avait beaucoup moins d'investisseurs, on ne pouvait plus produire 300 films dans l'année. Et qui travaillait le plus dur? Qui mettait tout son coeur dans les films? Ceux-là ont pu survivre. C'est la règle du jeu. Mais maintenant, il y a un nouvel espoire, et c'est le marché chinois. Donc les investisseurs sont de retour. Mais les réalisateurs bon marché sont aussi réapparus. "Vous avez beoin de tout ça? Je peux le faire pour le tiers!". Vous voyez, c'est un cycle. Mais je souviens, une fois quelqu'un est arrivé en disant "Il faut aider l'industrie du cinéma". Alors on s'est retrouvé à huit autour d'une table. J'ai dit "Nous avons fait de notre mieux, nous croyons en notre industrie. Nous ne pouvons pas vraiment aider plus. Il y a tellement de personnes véreuses dans ce milieu.". Des fois il y a des cuistots qui font des rôles de figurants et qui décident de devenir réalisateur... C'est la règle du jeu.

F: Comme vous avez dit, c'est un cycle. Vous pensez donc que la situation va s'améliorer, puis se déteriorer à nouveau, etc...?

T: Il y a des gens véreux dans n'importe quel type de business, et je ne leur en veux pas vraiment. Ils essayent juste de survivre. Mais je pense que c'est même bien dans un sens. Si tous ces gens véreux disparaissent, comment savoir quels sont les gens honnêtes et passionnés? Il faut des méchants pour savoir qui sont les gentils. Je fais juste mon travail. Tout comme certains réalisateurs honnêtes comme Derek Yee, Peter Chan, Benny Chan. Ils travaillent très dur pour faire de bons films. Je pense donc qu'on pourra continuer pour la plupart. Et plus tard, il y aura moins de VCDs pirates, car le marché redeviendra important, et les revendeurs de pirates pourront redevenir honnêtes. Ils pourront vendre du VCD et DVD officiel, en baissant un peu les prix peut-être.

F: Au jour d'aujourd'hui, vous sentez vous Chinois, ou Hong Kongais?

T: Beaucoup d'étrangers m'ont posé cette question. Qu'est-ce qui a changé après 1997 ? Personnellement, je n'y connais rien en économie, en politique, etc.. Je suis juste un fabricant de rêve. Pour moi, la vie est un peu plus dure. J'ai moins d'amis. Parce que les gens tentent surtout de survivre, d'avoir une vie décente. Ils font moins la fête. Et à cause des SMS, des emails, les gens parlent moins. Pour moi c'est quelque chose d'assez triste. Si les gens aiment mes films, c'est parce qu'ils peuvent ressentir le drame, le drame humain. Je me fais des amis, mais en dehors de Hong Kong. Maintenant j'ai plus d'amis à Taiwan, en Chine, et moins d'amis à Hong Kong. C'est un drame pour moi.

F: Merci beaucoup

T: Je vous en prie.

 

Tous nos remerciements à Dana et Kathy pour leur aide précieuse, et à Teddy Chen pour sa disponibilité.

date
  • October 2003
credits
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